BER | FRA
Sadki Ali Azayku
Timitar. 1989
TIMITAR : DE LA NOSTALGIE À LA RENAISSANCE
Timitar. 1989
TIMITAR : DE LA NOSTALGIE À LA RENAISSANCE
Ce premier recueil de poèmes de Ali Sadki Azayku a été publié en 1989. Composé de 33 pièces, Timitar est davantage organisé de façon thématique que chronologique. Les thèmes sont puisés dans la mémoire poétique amazighe, à l’instar des poètes traditionnels comme Lhadj Belaid, des thèmes comme celui du pays natal, du sol ancestral, thème essentiel chez Azayku. Mais ce chez soi « n’est pas un pays ou une région mais plutôt la berbérité douloureuse dont les signes éclatants sont la langue (awal), le peuple et le corps qui peut être celui de la mère ou de la femme aimée » [1]. La Nostalgie ou Amarg constitue le fond du décor de la poésie d’Azayku.
C’est l’âme de tout son peuple qui est plongée dans la nostalgie d’un passé lumineux (tifawin n zikk), dans l’amertume (symbolisée par « l’omniprésence » du laurier-rose), signes (timitar) de la perte : perte d’amour, perte de dignité, perte de soi, un soi dissimulé sous un visage contrefait, un visage devenu seconde peau, que les autres croient être l’essence du poète, de l’amazigh, sans se poser de questions (cf. le poème Amnzuy). Cette nostalgie se manifeste par la présence de nombreuses voix : la voix de l’être aimé, celles du passé et celle, notable, de la mère. |
La voix et le visage de l’amour
L’être aimé est présent essentiellement dans cinq poèmes [2]. Un seul prénom de femme est présent, dans le poème Ghass-ad ma yufa ? Il s’agit de Kheddouj, diminutif de Khadija. Pourquoi ce prénom ? Certainement cela fait-il référence à un vécu du poète qui nous échappe. La femme aimée est caractérisée par la beauté où se reflètent des éléments de la nature. Et dans le poème Amarg, on y voit le genou ou le visage, visage comparé à celui de la gazelle, un des symboles de beauté par excellence chez les Chleuhs. La beauté de la femme aimée est qualifiée d’unique, d’incomparable. La femme aimée provoque un vrai bouleversement, un bouleversement, dirait-on cosmique. Le monde est sens dessus dessous.
Mais tout comme elle en provoque le bouleversement, la bien-aimée devient essentielle à la bonne marche de l’univers en général et de l’univers du poète en particulier. Celui-ci est ainsi pleinement réalisé dans son amour, puisque grâce à lui, il découvre le bonheur. L’amour devient plénitude.
Cependant cette pleine réalisation devient dépendance qui pousse même le poète jusqu’à l’exil. Grâce à la force de l’amour, le poète, devenu oiseau, peut repousser les frontières de l’univers. Il accède ainsi au cosmos qu’il conquiert pour en faire le siège de son amour, un amour éternité, plus beau que le paradis (ufent ljnt), un amour exclusif pour l’être aimé. L’amour devient quête de l’absolu. L’exclusivité devient fusion, fusion dans la flamme de l’amour.
Mais l’amour est aussi cruauté, il fait souffrir et mutile le cœur du poète. L’être aimé prend un autre visage et devient impitoyable. On passe de la lumière, celles des cieux et des étoiles, aux ténèbres dans lesquelles le cœur du poète est plongé. Et c’est là que le poète se réveille. Il ne s’agissait que d’un rêve furtif, éphémère et évanescent. L’amour n’était en fait qu’une illusion.
Les voix du passé
Comme l’écrit Tassadit Yacine, à propos d’Aït Menguellet [3], « le poète est mémoire comme ces enfants au regard profond, innocent, qui se tournent vers le passé parce qu’ils n’ont pas d’avenir. (…) alors, on se tourne vers le passé, un passé nostalgique qui ne reviendra plus, parce qu’il est mort comme sont morts les hommes d’antan... ceux qui ont tracé pour nous la voie (…) ». Le poème d’Azayku, dans Timitar, le plus significatif dans la référence au passé est le poème Takwtbiyyt . Le passé est symbolisé d’abord par la lumière qui en jaillit pour éclairer les cœurs. On trouve dans le poème Imula l’expression « tifawin n zikk » comme si la lumière ne faisait partie que du passé.
Symbole de ce passé, la Koutoubiyya, est majestueuse, solide, permanente. Porteuse des signes glorieux du passé, elle les livre à ceux qui veulent bien les voir, en l’occurrence ici, le poète. La référence aux hommes valeureux et glorieux du passé ne se fait pas sans la référence à la montagne, considérée par le poète comme le berceau de ces hommes, de ses ancêtres (willi ax-urunin, ceux qui nous ont enfantés), où le feu de la passion est encore vivant. La montagne est la source qui nourrit ces hommes de valeur, déterminés car le chemin est tout éclairé de leur détermination, passionnés car leur cœur brûle du feu de la passion. Leur détermination ne connaît pas de limites, ils sont en quête d’absolu. Ils provoquent le trouble parmi les astres et sur terre. Irrésistibles sont leur puissance et leur ascension. Les hommes d’antan sont des conquérants, des aventuriers qui n’ont nulle peur de l’inconnu et qui dominent, fiers et imposants, le monde du haut de leurs montures. Le souvenir du passé est lumineux, glorieux, enthousiasmant pour le poète. Mais le présent refait vite surface. Et ce présent n’est guère exaltant. Il est en effet symbolisé par la saleté qui envahit la Koutoubiyya, édifice symbole de la gloire passée des Amazighs. Oublié, devenu mythique, le passé est peu à peu enseveli, peu à peu englouti par les ténèbres.
La voix de la mère
À côté des voix et des symboles d’un passé glorieux, particulières sont la voix et la présence de la mère.
Deux titres de poèmes Immi et Immi dax font directement référence à la mère. Deux autres poèmes Tinmel-nnx et Îd n tgrst témoigne de sa présence certaine, poèmes où, tantôt, il s’adresse à elle, tantôt, il se rappelle son enfance dans le climat particulier d’une nuit d’hiver. Dans ce dernier, il y a ce souvenir, ce souvenir concret et persistant de l’enfance, d’une enfance heureuse, symbole de plénitude et d’amour. Le poète est ainsi marqué par cette douce harmonie d’un soir d’hiver, où se font tous ces jeux de lumières et d’ombres, ces jeux sonores du feu qui crépite ou ces odeurs de semoule sur le feu. Dans ce décor où chacun est à sa place, la voix de la mère devient centrale pour l’auditoire que sont ses enfants.
La mère est d’abord celle qui transmet la vie, tudert, cette vie symbolisée par cette graine, amud. Cette graine est aussi le symbole de la culture donnée en héritage. La mère continue l’œuvre de ces ancêtres qui n’ont pas eu le temps de voir pousser cette « fleur ».
C’est en la mère que l’on peut lire les signes, timitar, du passé, terme clé dans la poétique d’Azayku. L’enfance est marquée par la présence de cette mère, qui domine le temps, qui de son amour protège ses enfants, amour en comparaison duquel le monde est infiniment petit. Le poète, fier, se réclame de cette filiation.
La voix singulière du poète amazigh
Le verbe personnifié
Le poète va se faire le prolongement de cette voix maternelle, elle-même prolongement des voix du passé et des ancêtres. L’acte poétique est à la fois symbole et acte d‘amour et de vie. C’est au cœur du verbe, que le poète donne son sens au monde. Le verbe est personnifié, il est exalté par le poète pour qui il est essentiel. D’ailleurs le poème d’ouverture n’a t-il pas pour titre Awal ? Ce verbe est associé à l’amazighité, il est amazigh.
La langue, héritage du passé, pour le poète, devient, bien qu’elle soit rejetée par les autres, à la fois famille et amis, puisqu’elle porte en elle l’identité et l’essence même du poète qui se construit autour d’elle, et qui n’existe que par elle. Le poète chante la vivacité de sa langue, sa résistance malgré le rejet et l’indifférence dont elle est victime.
Ainsi comme le poète romantique, le poète amazigh, est incompris, en marge de la société car son propos échappe à l’intelligence de la masse qui le rejette. Il se retrouve ainsi seul, à prendre en charge cette langue dont il a héritée, et dont il est conscient de la valeur (atig) . Cette solitude se manifeste par le refus des autres à partager sa souffrance, car la conscience est bel et bien devenue souffrance.
Le poète porte alors cette identité comme un fardeau (Tazâyt-inu), il devient « Voisin de la vie » (Addjar n tudert), c’est l’errance et l’exil qui l’attendent au bout du chemin. N’est-il pas significatif de ce malaise le fait que deux poèmes s’intitulent respectivement Amuddu (le voyage) et Astara (l’errance) ? La lassitude (Rrmuyt) le gagne, il attend la fin du monde avec impatience. Car que peut-il attendre d’une terre en friche qui n’est pas prise en charge par les siens ?
Et c’est là que nous retrouvons cette comparaison de la culture héritée des anciens à cette graine, cette semence que la mère a transmise à ses enfants pour la faire grandir, pour la pérenniser.
La métaphore agricole
Tout au long du recueil, cette métaphore est en effet omniprésente. La mère est comparée à un champ dans lequel grandit la fleur héritée des ancêtres. Mais l’ignorance et l’indifférence font décliner cette fleur jusqu’à l’assécher. La soif et l’assèchement gagnent peu à peu la culture qui est abandonnée des siens. La soif devient ontologique de l’oubli, oubli de cette terre, oubli de cette culture, oubli de la langue. Peu à peu, à cette fleur originelle, se substitue la fleur de l’amertume, la fleur du laurier rose qui devient envahissante, pléthorique. Cette culture est laissée à l’abandon, piétinée, même quand on croit qu’elle est inaccessible, sur les rochers. La soif atteint les héritiers de cette terre abandonnée, qu’ils n’ont pas prise en charge. Les racines abandonnées à elles-mêmes se « gâtent », et s’il n’y a plus de racine, la vie est gagnée par la superficialité, par la quête sans fin, sans satisfaction aucune, et le cœur est condamné aux plaisirs passagers et éphémères.
L’espoir retrouvé et la renaissance initiée
Spolié de sa terre, gagné par la soif, le poète, par son verbe, pourtant en même temps qu’il est gagné par le pessimisme, insuffle parallèlement le goût de l’espoir et de la renaissance. C’est la magie du verbe qui va initier la renaissance. Une nouvelle ère s’ouvre, celle de la parole, déliée de ces entraves, l’ère de la plénitude et du renouveau. Le poète, peu à peu regagné par l’optimisme, est protégé de la consomption par le verbe maternel.
Il s’adresse aux symboles du passé pour les encourager à se dresser encore, leur rappeler que la racine originelle est encore vive en lui. Il l’exalte à ne pas se laisser envahir par l’oubli, à devenir, elle qui fut témoin du passé, celui du présent, à participer à la renaissance. L’espoir passe par la reprise du défrichage et du labourage de la terre/culture. L’action du labourage est similaire à l’action de l’écriture. Elles permettent toutes deux de lutter contre l’oubli, de fixer la culture dans le sol et de pouvoir transmettre quelque chose aux générations futures. Le recueil se termine par ces vers significatifs quant à l’espoir du poète :
L’être aimé est présent essentiellement dans cinq poèmes [2]. Un seul prénom de femme est présent, dans le poème Ghass-ad ma yufa ? Il s’agit de Kheddouj, diminutif de Khadija. Pourquoi ce prénom ? Certainement cela fait-il référence à un vécu du poète qui nous échappe. La femme aimée est caractérisée par la beauté où se reflètent des éléments de la nature. Et dans le poème Amarg, on y voit le genou ou le visage, visage comparé à celui de la gazelle, un des symboles de beauté par excellence chez les Chleuhs. La beauté de la femme aimée est qualifiée d’unique, d’incomparable. La femme aimée provoque un vrai bouleversement, un bouleversement, dirait-on cosmique. Le monde est sens dessus dessous.
Mais tout comme elle en provoque le bouleversement, la bien-aimée devient essentielle à la bonne marche de l’univers en général et de l’univers du poète en particulier. Celui-ci est ainsi pleinement réalisé dans son amour, puisque grâce à lui, il découvre le bonheur. L’amour devient plénitude.
Cependant cette pleine réalisation devient dépendance qui pousse même le poète jusqu’à l’exil. Grâce à la force de l’amour, le poète, devenu oiseau, peut repousser les frontières de l’univers. Il accède ainsi au cosmos qu’il conquiert pour en faire le siège de son amour, un amour éternité, plus beau que le paradis (ufent ljnt), un amour exclusif pour l’être aimé. L’amour devient quête de l’absolu. L’exclusivité devient fusion, fusion dans la flamme de l’amour.
Mais l’amour est aussi cruauté, il fait souffrir et mutile le cœur du poète. L’être aimé prend un autre visage et devient impitoyable. On passe de la lumière, celles des cieux et des étoiles, aux ténèbres dans lesquelles le cœur du poète est plongé. Et c’est là que le poète se réveille. Il ne s’agissait que d’un rêve furtif, éphémère et évanescent. L’amour n’était en fait qu’une illusion.
Les voix du passé
Comme l’écrit Tassadit Yacine, à propos d’Aït Menguellet [3], « le poète est mémoire comme ces enfants au regard profond, innocent, qui se tournent vers le passé parce qu’ils n’ont pas d’avenir. (…) alors, on se tourne vers le passé, un passé nostalgique qui ne reviendra plus, parce qu’il est mort comme sont morts les hommes d’antan... ceux qui ont tracé pour nous la voie (…) ». Le poème d’Azayku, dans Timitar, le plus significatif dans la référence au passé est le poème Takwtbiyyt . Le passé est symbolisé d’abord par la lumière qui en jaillit pour éclairer les cœurs. On trouve dans le poème Imula l’expression « tifawin n zikk » comme si la lumière ne faisait partie que du passé.
Symbole de ce passé, la Koutoubiyya, est majestueuse, solide, permanente. Porteuse des signes glorieux du passé, elle les livre à ceux qui veulent bien les voir, en l’occurrence ici, le poète. La référence aux hommes valeureux et glorieux du passé ne se fait pas sans la référence à la montagne, considérée par le poète comme le berceau de ces hommes, de ses ancêtres (willi ax-urunin, ceux qui nous ont enfantés), où le feu de la passion est encore vivant. La montagne est la source qui nourrit ces hommes de valeur, déterminés car le chemin est tout éclairé de leur détermination, passionnés car leur cœur brûle du feu de la passion. Leur détermination ne connaît pas de limites, ils sont en quête d’absolu. Ils provoquent le trouble parmi les astres et sur terre. Irrésistibles sont leur puissance et leur ascension. Les hommes d’antan sont des conquérants, des aventuriers qui n’ont nulle peur de l’inconnu et qui dominent, fiers et imposants, le monde du haut de leurs montures. Le souvenir du passé est lumineux, glorieux, enthousiasmant pour le poète. Mais le présent refait vite surface. Et ce présent n’est guère exaltant. Il est en effet symbolisé par la saleté qui envahit la Koutoubiyya, édifice symbole de la gloire passée des Amazighs. Oublié, devenu mythique, le passé est peu à peu enseveli, peu à peu englouti par les ténèbres.
La voix de la mère
À côté des voix et des symboles d’un passé glorieux, particulières sont la voix et la présence de la mère.
Deux titres de poèmes Immi et Immi dax font directement référence à la mère. Deux autres poèmes Tinmel-nnx et Îd n tgrst témoigne de sa présence certaine, poèmes où, tantôt, il s’adresse à elle, tantôt, il se rappelle son enfance dans le climat particulier d’une nuit d’hiver. Dans ce dernier, il y a ce souvenir, ce souvenir concret et persistant de l’enfance, d’une enfance heureuse, symbole de plénitude et d’amour. Le poète est ainsi marqué par cette douce harmonie d’un soir d’hiver, où se font tous ces jeux de lumières et d’ombres, ces jeux sonores du feu qui crépite ou ces odeurs de semoule sur le feu. Dans ce décor où chacun est à sa place, la voix de la mère devient centrale pour l’auditoire que sont ses enfants.
La mère est d’abord celle qui transmet la vie, tudert, cette vie symbolisée par cette graine, amud. Cette graine est aussi le symbole de la culture donnée en héritage. La mère continue l’œuvre de ces ancêtres qui n’ont pas eu le temps de voir pousser cette « fleur ».
C’est en la mère que l’on peut lire les signes, timitar, du passé, terme clé dans la poétique d’Azayku. L’enfance est marquée par la présence de cette mère, qui domine le temps, qui de son amour protège ses enfants, amour en comparaison duquel le monde est infiniment petit. Le poète, fier, se réclame de cette filiation.
La voix singulière du poète amazigh
Le verbe personnifié
Le poète va se faire le prolongement de cette voix maternelle, elle-même prolongement des voix du passé et des ancêtres. L’acte poétique est à la fois symbole et acte d‘amour et de vie. C’est au cœur du verbe, que le poète donne son sens au monde. Le verbe est personnifié, il est exalté par le poète pour qui il est essentiel. D’ailleurs le poème d’ouverture n’a t-il pas pour titre Awal ? Ce verbe est associé à l’amazighité, il est amazigh.
La langue, héritage du passé, pour le poète, devient, bien qu’elle soit rejetée par les autres, à la fois famille et amis, puisqu’elle porte en elle l’identité et l’essence même du poète qui se construit autour d’elle, et qui n’existe que par elle. Le poète chante la vivacité de sa langue, sa résistance malgré le rejet et l’indifférence dont elle est victime.
Ainsi comme le poète romantique, le poète amazigh, est incompris, en marge de la société car son propos échappe à l’intelligence de la masse qui le rejette. Il se retrouve ainsi seul, à prendre en charge cette langue dont il a héritée, et dont il est conscient de la valeur (atig) . Cette solitude se manifeste par le refus des autres à partager sa souffrance, car la conscience est bel et bien devenue souffrance.
Le poète porte alors cette identité comme un fardeau (Tazâyt-inu), il devient « Voisin de la vie » (Addjar n tudert), c’est l’errance et l’exil qui l’attendent au bout du chemin. N’est-il pas significatif de ce malaise le fait que deux poèmes s’intitulent respectivement Amuddu (le voyage) et Astara (l’errance) ? La lassitude (Rrmuyt) le gagne, il attend la fin du monde avec impatience. Car que peut-il attendre d’une terre en friche qui n’est pas prise en charge par les siens ?
Et c’est là que nous retrouvons cette comparaison de la culture héritée des anciens à cette graine, cette semence que la mère a transmise à ses enfants pour la faire grandir, pour la pérenniser.
La métaphore agricole
Tout au long du recueil, cette métaphore est en effet omniprésente. La mère est comparée à un champ dans lequel grandit la fleur héritée des ancêtres. Mais l’ignorance et l’indifférence font décliner cette fleur jusqu’à l’assécher. La soif et l’assèchement gagnent peu à peu la culture qui est abandonnée des siens. La soif devient ontologique de l’oubli, oubli de cette terre, oubli de cette culture, oubli de la langue. Peu à peu, à cette fleur originelle, se substitue la fleur de l’amertume, la fleur du laurier rose qui devient envahissante, pléthorique. Cette culture est laissée à l’abandon, piétinée, même quand on croit qu’elle est inaccessible, sur les rochers. La soif atteint les héritiers de cette terre abandonnée, qu’ils n’ont pas prise en charge. Les racines abandonnées à elles-mêmes se « gâtent », et s’il n’y a plus de racine, la vie est gagnée par la superficialité, par la quête sans fin, sans satisfaction aucune, et le cœur est condamné aux plaisirs passagers et éphémères.
L’espoir retrouvé et la renaissance initiée
Spolié de sa terre, gagné par la soif, le poète, par son verbe, pourtant en même temps qu’il est gagné par le pessimisme, insuffle parallèlement le goût de l’espoir et de la renaissance. C’est la magie du verbe qui va initier la renaissance. Une nouvelle ère s’ouvre, celle de la parole, déliée de ces entraves, l’ère de la plénitude et du renouveau. Le poète, peu à peu regagné par l’optimisme, est protégé de la consomption par le verbe maternel.
Il s’adresse aux symboles du passé pour les encourager à se dresser encore, leur rappeler que la racine originelle est encore vive en lui. Il l’exalte à ne pas se laisser envahir par l’oubli, à devenir, elle qui fut témoin du passé, celui du présent, à participer à la renaissance. L’espoir passe par la reprise du défrichage et du labourage de la terre/culture. L’action du labourage est similaire à l’action de l’écriture. Elles permettent toutes deux de lutter contre l’oubli, de fixer la culture dans le sol et de pouvoir transmettre quelque chose aux générations futures. Le recueil se termine par ces vers significatifs quant à l’espoir du poète :
Kigan ay-d-ttini ghmk
Ur jji t-urix, Ghass-ad gh urix, Ha tabrat-inu tlkm-nn. |
Il y a longtemps que je parle ainsi,
Sans l’avoir écrit, Aujourd’hui que je l’ai écrit, Voici que la lettre arrive à destination. |
***
Azayku est un poète qui dans la tradition poétique tachelhit, marque un rupture. Cependant, la rupture ne se fait pas dans la langue, qui est parfaitement classique, où l’on ne trouve aucun néologisme, ni rupture de la syntaxe classique poétique. La rupture n’est pas non plus dans ses comparaisons ou métaphores qui sont celles traditionnelles de la fleur, du champ, de l’eau rare etc. Mais la nouveauté est dans le ton mélancolique, mêlé de révolte, nourri à la fois d’espoir et de doutes, nourri aussi de conscience historique de son peuple. Azayku met en vers la double solitude et l’incompréhension du poète et de l’Amazigh conscient de son identité face au rejet que subit sa culture et les conséquences désastreuses qui en résultent.
Fatiha Lasri
Fatiha Lasri
NOTES
- A. Bounfour, Introduction à la littérature berbère, 1. La poésie. Ed Peters, 1999
- les poèmes Ghass-ad ma yufa ?, Yat, Amarg, Yan iga sin, Taghufi. Ces deux derniers poèmes ne sont pas clairement des poèmes d’amour, mais leurs titres le suggère. Dans le poème, Yan iga sin, il semblerait que le poète s’adresse à son propre cœur.
- Yacine Tassadit, Aït Menguellet chante, Ed. Bouchène/Awal, 1990.