Targant n usunfu.
Éléments préliminaires d'une monographie de quelques pratiques rituelles en rapport avec l'écosystème de l'arganier chez les Ayt Yasin
Abdelghani Maghnia
Délégation du ministère des Affaires culturelles, Essaouira.
Délégation du ministère des Affaires culturelles, Essaouira.
[Source : Actes des Journées d'étude sur l'Arganier, Essaouira, 1995 ]
À Fadhma Lhusein et Fatima Said, une femme et une jeune fille des Ayt Yasin.
On a pu dire que l'arganier constitue au Maroc un type de boisement absolument différent de tous ceux qui existent par ailleurs. Il convient, selon une recherche de Mohamed El Yousfi, de défendre comme un principe absolu ou un véritable dogme, ce fait essentiel que « l'arganeraie a un caractère social ou plus exactement familial et domestique qui l'associe intimement à la vie de ces pays, très pauvres qui, sans cette armature boisée, seraient transformés en désert. »
Si, par ailleurs, le problème de la dégradation enregistrée avec détérioration intensive des groupements végétaux, dans la région d'Admim par exemple, semble relever de l'ordre de l'environnement en termes d'écosystème, il apparaît que le fait concerne d'abord la pression anthropique, très forte, laquelle n'est pas étrangère avec une certaine rupture de l'équilibre climatique à l'origine des « variations du couvert ». Cela apparaît comme le résultat « d'une forte pression humaine qui s'exprime sous la forme d'exploitation abusive des pâturages, des défrichements, d'extension des cultures… » (M. El Yousfi, 1988).
Une telle problématique ne manque pas d'interpeller l'anthropologue justement dans le sens où il convient de définir quelques principes de cette psychologie de base de la relation de l'homme à l'arganier.
Une telle relation ne dépasse-t-elle pas, avec son caractère intime, le simple niveau productif d'un produit de consommation courante, l'aspect banal de la relation utilitaire brute ?
Le rapport à l'arganier n'est il pas vécu plutôt selon le mode complexe d'une relation privilégiée ?
Or comment tenter d'approcher une telle relation au sens où elle fonde sa formulation sur le registre d'un code essentiellement rituel et symbolique ?
Sans prétendre apporter, dans l'approche de ces questions, des réponses systématiques à ce questionnement, je me permets ici de proposer quelques éléments préliminaires d'une monographie de quelques pratiques rituelles en milieu Haha Ayt Yasin.
On a pu ainsi mettre en évidence l'aspect spécifique de l'exploitation traditionnelle de l'arganeraie, dont le caractère marginal semble mieux adapté à l'écosystème ‘arganier' même si la rentabilité financière est des plus limitée – des plus dures et des plus ingrates, notamment pour la femme – par rapport à celle des cultures intensives. L'exploitation traditionnelle offre l'intérêt de n'exercer aucune forte pression sur l'environnement et l'écosystème ‘arganier'.
On fait état à ce propos d'un attachement pluriséculaire de la famille à l'arbre, véritable « arbre sacré », considéré comme un « bien familial », comme l'expression de « la surprenante conservation des arganeraies anti-atlassiques, jalousement surveillées par les usagers eux-mêmes. »
Notre équipe s'est rendue dernièrement, pour les besoins de cette approche, dans les environs d'Essaouira, à une quinzaine de kilomètres vers le sud. C'est là où dans un village des Ayt Yasin, nous avons été cordialement reçus par les Moummad.
À cette heure de l'après-midi, où la chaleur de l'été persistant demeure encore assez forte pour la saison, la plupart des boutiques étaient fermées. Du reste, nous devions plus tard apprendre que la plupart des hommes sont loin, dans les autres centres urbains, ou même à l'étranger, s'ils ne sont pas en ville pour les courses de la journée. C'est là un fait constitutif de la société locale, actuellement très touchée par le phénomène de l'exode.
En décidant de nous diriger droit vers la famille paternelle, notre hôte, guide et informatrice nous demande de nous arrêter un moment. Elle doit saluer un vieil homme qui se tient au seuil d'une maison sur notre passage. L'instant de lui proposer de satisfaire notre requête en nous parlant du mode traditionnel de l'extraction de l'huile d'argan.
Elle reprend place aussitôt dans le véhicule, et ne pouvant retenir son rire, elle nous explique que le vieil homme, méfiant, lui conseille de ne pas trop insister : « c'est du pur cinéma ! »
La maison dans laquelle nous sommes reçus, située derrière un enclos de pierres surplombées d'amas épineux de branches d'argan, n'est habitée que par la famille d'un poulailler où trône un coq des plus imposants. La sécheresse est telle cette année qu'il n'y a aucun espace vert dans la cour aride où la seule verdure de la maison est représentée par la vigne qui s'élève dans un coin, près d'un plant de bougainvillier à sec.
En nous introduisant dans une pièce toute en longueur, selon le style de la construction locale, dont l'unique mobilier se trouve constitué par quelques tapis, nattes et oreillers, nous faisons la connaissance des deux personnes proches venues saluer notre amie : une femme d'âge plutôt avancé, Lalla Fadhma et sa fille, la vingtaine environ, Fatima.
C'est à travers elles que nous allions redécouvrir, en compagnie de notre guide, quelques éléments de cette approche préliminaire de notre questionnement.
Tigurramin / Tagurramt
Notre entrevue se déroule dans une ambiance des plus détendues, marquée par les attentions d'une hospitalité naturelle et spontanée. Un service spécial nous est offert : nous avons ainsi droit avec le cérémonial du thé, à la fameuse tagurramt.
C'est un plat qui, comme le nom l'indique, fait l'objet d'un intérêt particulier. Appelé aussi tigurramin, tagurramt dont l'étymologie comporte une notion de respect, d'honneur et noblesse, ce plat est dans les traditions locales l'expression d'un véritable code de l'honneur et des règles du bon usage de l'hospitalité.
Servi dans les occasions particulières lors de l'arrivée d'un hôte étranger au village, il est le premier plat offert dans l'attente d'un plat substantiel. Présenté avec un service de thé, il est servi dès l'arrivée du voyageur. Il suppose que l'hôte doit avoir bien besoin de manger une petite croûte et de se reposer un moment. Le plat nous est offert dans un plateau de vannerie où l'on a déposé quelques galettes d'orge, du pain de farine faits maison auprès des bols traditionnels composant tagurramt et contenant miel, beurre rance, amlu, viande confite et huile d'argan. Il y a également un plat de gâteaux et de fruits secs (amandes, noix et cacahuètes). Amlu est la spécialité de la région du domaine de l'arganier. C'est une préparation spéciale à base d'huile d'argan, de miel et d'amandes légèrement grillées et moulues. Un délice, dirait un gastronome. Cependant il est recommandé de ne s'en servir que modérément, d'autant qu'il faut faire honneur au plat de résistance qui doit suivre.
On connaît la méthode d'extraction traditionnelle de l'huile d'argan. Elle comporte des étapes précises, une fois faite, la cueillette des fruits après leur maturation dans la période de juin-août.
Rappelons-en les étapes principales.
Notons l'expression de ce schéma selon le mode rituel des Ayt Yasîn.
Iddilfu
Avec nos hôtes, mis au courant par notre guide de l'objet de notre visite, nous avons le loisir ensuite d'évoquer les principales étapes de l'extraction de l'huile d'argan et ce dont elle se trouve entourée comme ambiance. Le sujet semble plutôt agréablement reçu, à en juger par la mine souriante de nos interlocutrices. On nous donne force détails de l'ensemble des opérations de cette pratique familiale :
On peut noter à ce propos que l'extraction de l'huile d'argan est codifiée par quelques observances rituelles précises. On fait surtout référence, en prononçant une formule symbolique à l'intention de la fille du Prophète de l'Islam. On invoque son pouvoir bienfaiteur lors de la phase du malaxage de la pâte en disant : ar ttasi s ufus nnes afasi tazzegmut ar ttini ha tawanza n Lalla Fâtim-Zzahrâ a lbaraka.
La formule exprime, avec allusion à la mèche frontale bénie de Lalla Fatima-Zahra, le désir de faire de la pâte recueillie une source de bienfaits et de bien-être supérieurs.
Avec le fameux tanfâs une autre référence est faite aux esprits bienfaiteurs, ces fameux démons islamisés par le Prophète (cf. Coran, 72 sourate al jinn). Le tanfâs fait ici allusion à un désir de bonne convivialité avec ces esprits chtoniens qui ont embrassé la même religion et vis-à-vis desquels le rituel exprime une sorte de pacte de non agression : rituel prémonitoire, fait à l'aide d'un geste simulant un arrosage par versement de quelques gouttes d'huile dans les quatre points cardinaux, cette offrande a une importance considérable au niveau symbolique. Elle est liée à l'observance de rigueur : on recommande de ne consommer l'huile extraite, qu'une fois faite cette offrande symbolique.
C'est alors que l'on procède au premier service du premier plat à base d'huile d'argan de l'année, servi d'abord aux enfants, avec la préparation succincte d'une recette bien connue : al mandaq, semoule d'orge mélangée avec quelques bons ingrédients et de l'huile d'argan. Cependant c'est avec Iddilfû que l'attention est sollicitée. Couronnant l'ensemble d'une période assez longue des phases de préparation et d'extraction de l'huile, Iddilfû constitue un moment d'un relief particulier. Moment privilégié de la période de l'extraction d'huile, il est vécu sur le mode de la détente récréative marquant une saison de bonne récolte. Il est fêté chez un membre important du clan familial et réunit, à la tombée de la nuit, parents et proches, peu après la dernière prière du soir.
Véritable jeu de société en milieu rural, Iddilfû consiste à battre un record. À partir d'une quantité donnée du produit brut de la cueillette, précisément l'équivalent du volume d'un mortier familial taferdut, il s'agit d'en extraire la quantité d'huile correspondante et de la consommer ensemble avant l'aube. ‘Iddilfû représente un moment où toutes les opérations nécessaires à l'extraction de l'huile d'argan se trouvent ainsi réalisées dans le temps record d'une seule nuit. Le défi consiste à ce que l'on procède ainsi à une opération condensant toutes les étapes nécessaires à l'extraction de l'huile d'argan dans une ambiance agréable, détendue et couronnée par un repas frugal à base d'huile d'argan, de galettes… Au cas où, à l'aube, ces opérations ne sont pas achevées, on simule une dispute générale, symbole de l'éclatement du groupe et d'anarchie généralisée.
On peut interpréter le jeu symbolique ‘Iddilfû, comme l'expression d'une profonde solidarité du groupe en rapport avec le travail productif, organisé et rigoureusement régi par le cycle des échéances fixées par le groupe. Iddilfû signifie ainsi le besoin de consolidation du groupe lors de cette phase importante de l'année.
IsiselNos interlocutrices évoquent par la suite un autre rite spécifique, lié à la récolte : ‘Isisel. Bien connu des Ayt Yasin, ce rite, d'allure magico-animiste, consiste en une sorte d'offrande de prémunition pour préserver les récoltes des parasites divers (moineaux, rats, etc.) qui peuvent l'attaquer. Avec une composante théâtrale, ludique à la limite, le rituel célébré par les femmes et les enfants ne doit manquer ni de solennel ni de sérieux. Il se déroule selon le code d'une note de dérision manifeste, la procession fonde aussi, par sa référence à Dieu, le désir solennel de salut du groupe.
La procession du petit groupe est dirigée sur le lieu dit Tigemmi ugwemmâd – littéralement la maison d'éloignement (sous-entendu, du mal) – un champ où trône un arganier solitaire.
Le groupe en procession, s'avance en chantant :
On a pu dire que l'arganier constitue au Maroc un type de boisement absolument différent de tous ceux qui existent par ailleurs. Il convient, selon une recherche de Mohamed El Yousfi, de défendre comme un principe absolu ou un véritable dogme, ce fait essentiel que « l'arganeraie a un caractère social ou plus exactement familial et domestique qui l'associe intimement à la vie de ces pays, très pauvres qui, sans cette armature boisée, seraient transformés en désert. »
Si, par ailleurs, le problème de la dégradation enregistrée avec détérioration intensive des groupements végétaux, dans la région d'Admim par exemple, semble relever de l'ordre de l'environnement en termes d'écosystème, il apparaît que le fait concerne d'abord la pression anthropique, très forte, laquelle n'est pas étrangère avec une certaine rupture de l'équilibre climatique à l'origine des « variations du couvert ». Cela apparaît comme le résultat « d'une forte pression humaine qui s'exprime sous la forme d'exploitation abusive des pâturages, des défrichements, d'extension des cultures… » (M. El Yousfi, 1988).
Une telle problématique ne manque pas d'interpeller l'anthropologue justement dans le sens où il convient de définir quelques principes de cette psychologie de base de la relation de l'homme à l'arganier.
Une telle relation ne dépasse-t-elle pas, avec son caractère intime, le simple niveau productif d'un produit de consommation courante, l'aspect banal de la relation utilitaire brute ?
Le rapport à l'arganier n'est il pas vécu plutôt selon le mode complexe d'une relation privilégiée ?
Or comment tenter d'approcher une telle relation au sens où elle fonde sa formulation sur le registre d'un code essentiellement rituel et symbolique ?
Sans prétendre apporter, dans l'approche de ces questions, des réponses systématiques à ce questionnement, je me permets ici de proposer quelques éléments préliminaires d'une monographie de quelques pratiques rituelles en milieu Haha Ayt Yasin.
On a pu ainsi mettre en évidence l'aspect spécifique de l'exploitation traditionnelle de l'arganeraie, dont le caractère marginal semble mieux adapté à l'écosystème ‘arganier' même si la rentabilité financière est des plus limitée – des plus dures et des plus ingrates, notamment pour la femme – par rapport à celle des cultures intensives. L'exploitation traditionnelle offre l'intérêt de n'exercer aucune forte pression sur l'environnement et l'écosystème ‘arganier'.
On fait état à ce propos d'un attachement pluriséculaire de la famille à l'arbre, véritable « arbre sacré », considéré comme un « bien familial », comme l'expression de « la surprenante conservation des arganeraies anti-atlassiques, jalousement surveillées par les usagers eux-mêmes. »
Notre équipe s'est rendue dernièrement, pour les besoins de cette approche, dans les environs d'Essaouira, à une quinzaine de kilomètres vers le sud. C'est là où dans un village des Ayt Yasin, nous avons été cordialement reçus par les Moummad.
À cette heure de l'après-midi, où la chaleur de l'été persistant demeure encore assez forte pour la saison, la plupart des boutiques étaient fermées. Du reste, nous devions plus tard apprendre que la plupart des hommes sont loin, dans les autres centres urbains, ou même à l'étranger, s'ils ne sont pas en ville pour les courses de la journée. C'est là un fait constitutif de la société locale, actuellement très touchée par le phénomène de l'exode.
En décidant de nous diriger droit vers la famille paternelle, notre hôte, guide et informatrice nous demande de nous arrêter un moment. Elle doit saluer un vieil homme qui se tient au seuil d'une maison sur notre passage. L'instant de lui proposer de satisfaire notre requête en nous parlant du mode traditionnel de l'extraction de l'huile d'argan.
Elle reprend place aussitôt dans le véhicule, et ne pouvant retenir son rire, elle nous explique que le vieil homme, méfiant, lui conseille de ne pas trop insister : « c'est du pur cinéma ! »
La maison dans laquelle nous sommes reçus, située derrière un enclos de pierres surplombées d'amas épineux de branches d'argan, n'est habitée que par la famille d'un poulailler où trône un coq des plus imposants. La sécheresse est telle cette année qu'il n'y a aucun espace vert dans la cour aride où la seule verdure de la maison est représentée par la vigne qui s'élève dans un coin, près d'un plant de bougainvillier à sec.
En nous introduisant dans une pièce toute en longueur, selon le style de la construction locale, dont l'unique mobilier se trouve constitué par quelques tapis, nattes et oreillers, nous faisons la connaissance des deux personnes proches venues saluer notre amie : une femme d'âge plutôt avancé, Lalla Fadhma et sa fille, la vingtaine environ, Fatima.
C'est à travers elles que nous allions redécouvrir, en compagnie de notre guide, quelques éléments de cette approche préliminaire de notre questionnement.
Tigurramin / Tagurramt
Notre entrevue se déroule dans une ambiance des plus détendues, marquée par les attentions d'une hospitalité naturelle et spontanée. Un service spécial nous est offert : nous avons ainsi droit avec le cérémonial du thé, à la fameuse tagurramt.
C'est un plat qui, comme le nom l'indique, fait l'objet d'un intérêt particulier. Appelé aussi tigurramin, tagurramt dont l'étymologie comporte une notion de respect, d'honneur et noblesse, ce plat est dans les traditions locales l'expression d'un véritable code de l'honneur et des règles du bon usage de l'hospitalité.
Servi dans les occasions particulières lors de l'arrivée d'un hôte étranger au village, il est le premier plat offert dans l'attente d'un plat substantiel. Présenté avec un service de thé, il est servi dès l'arrivée du voyageur. Il suppose que l'hôte doit avoir bien besoin de manger une petite croûte et de se reposer un moment. Le plat nous est offert dans un plateau de vannerie où l'on a déposé quelques galettes d'orge, du pain de farine faits maison auprès des bols traditionnels composant tagurramt et contenant miel, beurre rance, amlu, viande confite et huile d'argan. Il y a également un plat de gâteaux et de fruits secs (amandes, noix et cacahuètes). Amlu est la spécialité de la région du domaine de l'arganier. C'est une préparation spéciale à base d'huile d'argan, de miel et d'amandes légèrement grillées et moulues. Un délice, dirait un gastronome. Cependant il est recommandé de ne s'en servir que modérément, d'autant qu'il faut faire honneur au plat de résistance qui doit suivre.
On connaît la méthode d'extraction traditionnelle de l'huile d'argan. Elle comporte des étapes précises, une fois faite, la cueillette des fruits après leur maturation dans la période de juin-août.
Rappelons-en les étapes principales.
- Cueillette collective, une fois les fruits arrivés à maturation
- Séchage de la pulpe au soleil
- Stockage des noyaux durs
- Extraction des amendons par concassage
- Torréfaction dans un moule à grain spéciale
- Passage dans une meule à grain spéciale
- Malaxage et presse de la pâte obtenue
- Obtention finale d'huile et de tourteaux.
Notons l'expression de ce schéma selon le mode rituel des Ayt Yasîn.
Iddilfu
Avec nos hôtes, mis au courant par notre guide de l'objet de notre visite, nous avons le loisir ensuite d'évoquer les principales étapes de l'extraction de l'huile d'argan et ce dont elle se trouve entourée comme ambiance. Le sujet semble plutôt agréablement reçu, à en juger par la mine souriante de nos interlocutrices. On nous donne force détails de l'ensemble des opérations de cette pratique familiale :
- La cueillette : ar gerrun ifeyyacen est le nom local de cette opération première. Elle se déroule dans les champs du domaine forestier dont la famille a l'usufruit,
- Le séchage de la graine du pulpe est ici appelée ar sallayen afeyyac,
- Le concassage de la graine : ar rragen aqqayen ; cette opération aide à dégager le fruit,
- Le grillage des fruits : ar sallayen tizênin.,
- La moulure des fruits : ar zzâden tizênin
- Malaxage et presse de la pâte : ar zêmman tazgmmut
- Dépôt de l'huile obtenue en bouteille, ar ttasin argan gent g talbettâtin,
- Offrande rituelle de rigueur ‘ar truccan également appelée tanfâs.
On peut noter à ce propos que l'extraction de l'huile d'argan est codifiée par quelques observances rituelles précises. On fait surtout référence, en prononçant une formule symbolique à l'intention de la fille du Prophète de l'Islam. On invoque son pouvoir bienfaiteur lors de la phase du malaxage de la pâte en disant : ar ttasi s ufus nnes afasi tazzegmut ar ttini ha tawanza n Lalla Fâtim-Zzahrâ a lbaraka.
La formule exprime, avec allusion à la mèche frontale bénie de Lalla Fatima-Zahra, le désir de faire de la pâte recueillie une source de bienfaits et de bien-être supérieurs.
Avec le fameux tanfâs une autre référence est faite aux esprits bienfaiteurs, ces fameux démons islamisés par le Prophète (cf. Coran, 72 sourate al jinn). Le tanfâs fait ici allusion à un désir de bonne convivialité avec ces esprits chtoniens qui ont embrassé la même religion et vis-à-vis desquels le rituel exprime une sorte de pacte de non agression : rituel prémonitoire, fait à l'aide d'un geste simulant un arrosage par versement de quelques gouttes d'huile dans les quatre points cardinaux, cette offrande a une importance considérable au niveau symbolique. Elle est liée à l'observance de rigueur : on recommande de ne consommer l'huile extraite, qu'une fois faite cette offrande symbolique.
C'est alors que l'on procède au premier service du premier plat à base d'huile d'argan de l'année, servi d'abord aux enfants, avec la préparation succincte d'une recette bien connue : al mandaq, semoule d'orge mélangée avec quelques bons ingrédients et de l'huile d'argan. Cependant c'est avec Iddilfû que l'attention est sollicitée. Couronnant l'ensemble d'une période assez longue des phases de préparation et d'extraction de l'huile, Iddilfû constitue un moment d'un relief particulier. Moment privilégié de la période de l'extraction d'huile, il est vécu sur le mode de la détente récréative marquant une saison de bonne récolte. Il est fêté chez un membre important du clan familial et réunit, à la tombée de la nuit, parents et proches, peu après la dernière prière du soir.
Véritable jeu de société en milieu rural, Iddilfû consiste à battre un record. À partir d'une quantité donnée du produit brut de la cueillette, précisément l'équivalent du volume d'un mortier familial taferdut, il s'agit d'en extraire la quantité d'huile correspondante et de la consommer ensemble avant l'aube. ‘Iddilfû représente un moment où toutes les opérations nécessaires à l'extraction de l'huile d'argan se trouvent ainsi réalisées dans le temps record d'une seule nuit. Le défi consiste à ce que l'on procède ainsi à une opération condensant toutes les étapes nécessaires à l'extraction de l'huile d'argan dans une ambiance agréable, détendue et couronnée par un repas frugal à base d'huile d'argan, de galettes… Au cas où, à l'aube, ces opérations ne sont pas achevées, on simule une dispute générale, symbole de l'éclatement du groupe et d'anarchie généralisée.
On peut interpréter le jeu symbolique ‘Iddilfû, comme l'expression d'une profonde solidarité du groupe en rapport avec le travail productif, organisé et rigoureusement régi par le cycle des échéances fixées par le groupe. Iddilfû signifie ainsi le besoin de consolidation du groupe lors de cette phase importante de l'année.
IsiselNos interlocutrices évoquent par la suite un autre rite spécifique, lié à la récolte : ‘Isisel. Bien connu des Ayt Yasin, ce rite, d'allure magico-animiste, consiste en une sorte d'offrande de prémunition pour préserver les récoltes des parasites divers (moineaux, rats, etc.) qui peuvent l'attaquer. Avec une composante théâtrale, ludique à la limite, le rituel célébré par les femmes et les enfants ne doit manquer ni de solennel ni de sérieux. Il se déroule selon le code d'une note de dérision manifeste, la procession fonde aussi, par sa référence à Dieu, le désir solennel de salut du groupe.
La procession du petit groupe est dirigée sur le lieu dit Tigemmi ugwemmâd – littéralement la maison d'éloignement (sous-entendu, du mal) – un champ où trône un arganier solitaire.
Le groupe en procession, s'avance en chantant :
Nsisli i tzikwi,
Nsisli ugherdâ Nsilsi ma yegan dêrurt a Rebbi.. |
Nous en offrons aux moineaux,
Nous en offrons aux rats, Nous en offrons contre tous les maux, Seigneur préserve nous-en. |
L'offrande en question est très curieuse, elle consiste dans un ensemble de cinq coquilles d'escargots vides, et emplies chacune de l'équivalent d'huile d'argan, de beurre, de farine, de levure, de lait et posée au-dessus d'un morceau de crotte de vache dans un plat de céramique.
Arrivée à la hauteur de Tigemmi ugwemmâd, l'ambiance devient intense lorsque le groupe jette à distance son ‘‘offrande'' dans la direction de l'Arganier et s'éloigne en courant à toute vitesse.
Situé au centre de ce rite, l'Arganier apparaît ici comme l'espace magique de la prémunition contre le mal sous toutes ses formes, notamment celles menaçant les récoltes. C'est ainsi qu'on voit associer à l'Arganier un rôle très particulier avec la fonction des prémunitions surnaturelles contre le mal menaçant la vie du groupe.
L'arganier est pour nos interlocutrices, l'arbre, par excellence, qui préserve contre l'esprit du Mal, iblis, Lucifer. Celui-ci a la mauvaise réputation d'être surtout le responsable désigné de le sécheresse lorsque, profitant d'une quelconque négligence, il vient sans pudeur simplement uriner sur les récoltes, semant ainsi famine et discorde.
C'est l'arganier qui fait là, figure bénie de défense contre iblis. Par ses branchages en aiguilles, l'arganier a la vertu magique, à cause des piqûres causées sur la peau du Mal, d'empêcher iblis, lui interdisant l'accès aux récoltes afin de leur porter un quelconque préjudice. À l'image des enclos entourant les champs sur lesquels on dépose les branchages secs de l'arbre, l'arganier remplit ici la fonction symbolique d'un pouvoir surnaturel de protection de la vie.
Imi n Tlulmi
On ne peut évoquer l'arganier chez les Ayt Yasin sans penser à la visite, rituelle d'Imi n Tlulmi. C'est un site au-dessus d'un monticule dans l'arganeraie proche de Sidi Yasin du reste, sa visite est souvent associée à ce Saint patron de la région. Imi n Tlulmi apparaît comme lieu surnaturel sollicité notamment lors de certaines affections d'ordre psychologique en rapport avec l'éloignement d'un proche, ou un désir de fécondité ou l'aspiration à fonder un foyer.
Le lieu, une sorte de rocher surplombant une petite caverne, est visité avec quelques offrandes déposées à même le sol : bougies, orge, œufs…
Le rituel de la visite exige de se pencher vers l'entrée de la caverne et de formuler, l'objet de la visite avant de présenter son offrande et de déposer, sur un arganier avoisinant un bout de tissu quelconque en signe de rejet symbolique du mal dont on se trouve atteint.
Il est inutile de souligner là encore l'intérêt de la fonction rituelle associée à l'arganier comme agent participant à un principe de vie, de fécondité et de pouvoir symbolique contre le mal. Notons que l'association Imi n Tlulmi est souvent faite avec la visite au Saint Sidi Yasin sollicité quant à lui pour plusieurs types d'affections physiques et mentales. Du reste, c'est souvent la doyenne du mausolée Sidi Yasin qui va recueillir les offrandes faites à Imi n Tlulmi, mais il semble que la mentalité du groupe ne sépare nullement ces deux zones de la sainteté, l'hagiographie islamique et le culte ancestral associé aux sites naturels (Grottes, arbres…) On peut citer le cas similaire de la fameuse pierre associée à la visite de ce Saint célèbre « Tazrût n Mulay Buàzza », le fameux mystique Abû Ya'za
Targant usunfu
Ayant évoqué, avec nos hôtes, l'intérêt essentiel de ces rituels associés à l'arganier, il nous a été recommandé d'aller sur place sur le site dit Targant usunfu. Situé non loin de la route de l'aérodrome Essaouira Er-Riyad. Targant usunfu, correspond à l'arbre, un arganier jouissant de qualités peu communes par sa fraîcheur et sa verdure tout au long de l'année. C'est, comme le nom l'indique, l'arganier du repos, il est associé à toute une légende remontant au début du siècle au personnage, un saint homme, semble-t-il de l'époque : Sidi Brahim Talaâttabt.
L'arbre apparaît jouir de certaines qualités surnaturelles, c'est pour cela qu'il est appelé Targant n jeddi Brahim ou encore Tagurramt, c'est-à-dire l'arganier de Sidi Brahim ou encore l'arganier béni. C'est là, aux dires de notre informatrice, que ce personnage célébrait certaines litanies rituelles, les cercles du dhikr, et aussi certaines cérémonies de contrat de mariage dont il rédigeait les actes.
Il semble ainsi que l'arganier revêt une configuration particulière, non seulement comme élément de production agraire, mais aussi comme fait essentiel de l'économie symbolique du groupe.
On connaît l'attachement ancien des hommes dans le sentiment de leur finitude ou des aléas de leur condition précaire, les vicissitudes de leur existence très souvent menacée par d'énormes dangers, à magnifier un monde surnaturel où s'expriment leurs idéaux de transcendance.
Forces diffuses, à peine dotées d'une personnalité élémentaire parfois, comme c'est le cas dans le monde mélanésien du mana, on connaît le numina romain et le théos grec où s'exprime de manière saisissante cette tendance profonde de la psychologie religieuse avec ses épiphanies diverses. En Égypte, le sentiment religieux s'exprime avec les divinités animales qui tels Horus, le faucon, Anubis, le chien ou Amon, le bélier, tout comme on parle des puissances inférieures qui, en Grèce, appartiennent au monde animal : les Sirènes, les Centaures, les Satyres ... Ce thériomorphisme primitif coexiste avec l'anthropomorphisme de l'Olympe, le Panthéon grec peuplé des divinités anthropomorphes, Zeus, Aphrodite, Dionysos…
Mais l'on relève essentiellement l'intérêt porté très tôt par les hommes aux « phénomènes végétatifs » auxquels l'homme ancestral devait une partie de sa nourriture. Ainsi le culte de l'arbre est largement observé dans le monde égéen, Artémis, la déesse du cèdre ou du noyer, Athéna, celle de l'olivier, etc.
Symbole de la prospérité et de la paix, l'olivier est associé au culte d'Athéna et les oliviers sacrés qui appartenaient au domaine de l'État, étaient placés sous la garde d'Athéna Moria et « toute atteinte à ces arbres était susceptible de provoquer une accusation d'impiété. » (Lévèque et Séchan, 1990)
Sophocle chantait ainsi cet arbre sacré : « Il croît en Attique que partout ailleurs, … le plant indomptable qui se refait seul… l'olivier au feuillage glauque, le nourricier de nos enfants, l'arbre que personne, ni jeune, ni vieux, ne peut brutalement détruire ou saccager. Le regard de Zeus des oliveraies ne le quitte pas et pas davantage, celui d'Athéna aux yeux pers. »
Si le rite et son contenu symbolique soulève aujourd'hui au niveau de son approche, l'interrogation tout à fait pertinente des soubassements théoriques du discours anthropologique, les limites de ses options méthodologiques, ou ses choix idéologiques, cela ne doit nullement exclure la légitimité de l'étonnement purement philosophique qu'il tend à produire pour peu que l'observation s'y trouve portée. Dans une étude consacrée à Édouard Westermarck, Rahma Bourqia note que le rite tel qu'il est abordé par cet auteur ne peut malgré tout exclure la recherche de nouvelles interprétations des faits. On peut ainsi, à partir d'un corpus donné comme celui amassé par le célèbre anthropologue anglais, développer la réflexion « sur le présent sur la continuité de certaines pratiques rituelle et sur le rythme du temps culturel », écrit l'auteur de cette étude qui ajoute : « Bien que la démarche théorique de Wesermarck s'insère dans des paradigmes, dans la mesure où elle ne révolutionne pas le champ théorique de son époque…, son œuvre nous séduit parce qu'elle se veut actuelle par les données qu'elle comporte et par le terrain qu'elle décrit. » ( R. Bourqi'a, 1993 )
Notons que les nouvelles générations tendent, malgré une certaine ambivalence, à opérer de nouveaux modes de rapports avec ce fonds symbolique du terroir. Est-ce à dire que la mémoire en sera un jour frappée d'amnésie ?
L'une des questions soulevées dans ce type d'approche est celle de la coexistence de telles pratiques rituelles – apparaissant comme des « survivances païennes » d'un autre âge – avec la croyance musulmane monothéiste, laquelle se réclame (malékite et ash'arite) du plus pur rigorisme orthodoxe. Question théologique épineuse. Nous évoquerons à ce propos la tradition omarienne qui veut que le second calife aurait fait condamner l'arbre sous lequel le Prophète avait reçu l'allégeance d'un groupe de nouveaux disciples (Coran, XLVIII, 18) lorsqu'il s'est rendu compte que le végétal commençait à faire l'objet d'un certain culte après la disparition du Prophète. Le monothéisme musulman ne pouvait alors s'offrir la moindre entorse.
De telles pratiques rituelles, furent-elles tolérées dans les siècles ultérieurs ? Il reste à signaler que l'arbre oléagineux revêt dans la vulgate coranique, avec notamment le symbolisme de la lumière – épiphanie divine de la quittance spirituelle – la configuration d'une auréole suprême. Il suffit d'évoquer la valeur symbolique dont l'arbre oléagineux se trouve investi dans la sourate de la lumière : « Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Semblance de Sa lumière : une niche où brûle une lampe, la lampe dans un cristal, le cristal, on dirait une étoile de perle : elle tire son aliment d'un ordre de bénédiction, un olivier qui ne soit ni de l'Est, ni de l'Ouest, dont l'huile éclaire presque sans que la touche le feu. Lumière ! Dieu guide à Sa lumière qui Il vit… » (Coran, XXIV, 35).
Arrivée à la hauteur de Tigemmi ugwemmâd, l'ambiance devient intense lorsque le groupe jette à distance son ‘‘offrande'' dans la direction de l'Arganier et s'éloigne en courant à toute vitesse.
Situé au centre de ce rite, l'Arganier apparaît ici comme l'espace magique de la prémunition contre le mal sous toutes ses formes, notamment celles menaçant les récoltes. C'est ainsi qu'on voit associer à l'Arganier un rôle très particulier avec la fonction des prémunitions surnaturelles contre le mal menaçant la vie du groupe.
L'arganier est pour nos interlocutrices, l'arbre, par excellence, qui préserve contre l'esprit du Mal, iblis, Lucifer. Celui-ci a la mauvaise réputation d'être surtout le responsable désigné de le sécheresse lorsque, profitant d'une quelconque négligence, il vient sans pudeur simplement uriner sur les récoltes, semant ainsi famine et discorde.
C'est l'arganier qui fait là, figure bénie de défense contre iblis. Par ses branchages en aiguilles, l'arganier a la vertu magique, à cause des piqûres causées sur la peau du Mal, d'empêcher iblis, lui interdisant l'accès aux récoltes afin de leur porter un quelconque préjudice. À l'image des enclos entourant les champs sur lesquels on dépose les branchages secs de l'arbre, l'arganier remplit ici la fonction symbolique d'un pouvoir surnaturel de protection de la vie.
Imi n Tlulmi
On ne peut évoquer l'arganier chez les Ayt Yasin sans penser à la visite, rituelle d'Imi n Tlulmi. C'est un site au-dessus d'un monticule dans l'arganeraie proche de Sidi Yasin du reste, sa visite est souvent associée à ce Saint patron de la région. Imi n Tlulmi apparaît comme lieu surnaturel sollicité notamment lors de certaines affections d'ordre psychologique en rapport avec l'éloignement d'un proche, ou un désir de fécondité ou l'aspiration à fonder un foyer.
Le lieu, une sorte de rocher surplombant une petite caverne, est visité avec quelques offrandes déposées à même le sol : bougies, orge, œufs…
Le rituel de la visite exige de se pencher vers l'entrée de la caverne et de formuler, l'objet de la visite avant de présenter son offrande et de déposer, sur un arganier avoisinant un bout de tissu quelconque en signe de rejet symbolique du mal dont on se trouve atteint.
Il est inutile de souligner là encore l'intérêt de la fonction rituelle associée à l'arganier comme agent participant à un principe de vie, de fécondité et de pouvoir symbolique contre le mal. Notons que l'association Imi n Tlulmi est souvent faite avec la visite au Saint Sidi Yasin sollicité quant à lui pour plusieurs types d'affections physiques et mentales. Du reste, c'est souvent la doyenne du mausolée Sidi Yasin qui va recueillir les offrandes faites à Imi n Tlulmi, mais il semble que la mentalité du groupe ne sépare nullement ces deux zones de la sainteté, l'hagiographie islamique et le culte ancestral associé aux sites naturels (Grottes, arbres…) On peut citer le cas similaire de la fameuse pierre associée à la visite de ce Saint célèbre « Tazrût n Mulay Buàzza », le fameux mystique Abû Ya'za
Targant usunfu
Ayant évoqué, avec nos hôtes, l'intérêt essentiel de ces rituels associés à l'arganier, il nous a été recommandé d'aller sur place sur le site dit Targant usunfu. Situé non loin de la route de l'aérodrome Essaouira Er-Riyad. Targant usunfu, correspond à l'arbre, un arganier jouissant de qualités peu communes par sa fraîcheur et sa verdure tout au long de l'année. C'est, comme le nom l'indique, l'arganier du repos, il est associé à toute une légende remontant au début du siècle au personnage, un saint homme, semble-t-il de l'époque : Sidi Brahim Talaâttabt.
L'arbre apparaît jouir de certaines qualités surnaturelles, c'est pour cela qu'il est appelé Targant n jeddi Brahim ou encore Tagurramt, c'est-à-dire l'arganier de Sidi Brahim ou encore l'arganier béni. C'est là, aux dires de notre informatrice, que ce personnage célébrait certaines litanies rituelles, les cercles du dhikr, et aussi certaines cérémonies de contrat de mariage dont il rédigeait les actes.
Il semble ainsi que l'arganier revêt une configuration particulière, non seulement comme élément de production agraire, mais aussi comme fait essentiel de l'économie symbolique du groupe.
On connaît l'attachement ancien des hommes dans le sentiment de leur finitude ou des aléas de leur condition précaire, les vicissitudes de leur existence très souvent menacée par d'énormes dangers, à magnifier un monde surnaturel où s'expriment leurs idéaux de transcendance.
Forces diffuses, à peine dotées d'une personnalité élémentaire parfois, comme c'est le cas dans le monde mélanésien du mana, on connaît le numina romain et le théos grec où s'exprime de manière saisissante cette tendance profonde de la psychologie religieuse avec ses épiphanies diverses. En Égypte, le sentiment religieux s'exprime avec les divinités animales qui tels Horus, le faucon, Anubis, le chien ou Amon, le bélier, tout comme on parle des puissances inférieures qui, en Grèce, appartiennent au monde animal : les Sirènes, les Centaures, les Satyres ... Ce thériomorphisme primitif coexiste avec l'anthropomorphisme de l'Olympe, le Panthéon grec peuplé des divinités anthropomorphes, Zeus, Aphrodite, Dionysos…
Mais l'on relève essentiellement l'intérêt porté très tôt par les hommes aux « phénomènes végétatifs » auxquels l'homme ancestral devait une partie de sa nourriture. Ainsi le culte de l'arbre est largement observé dans le monde égéen, Artémis, la déesse du cèdre ou du noyer, Athéna, celle de l'olivier, etc.
Symbole de la prospérité et de la paix, l'olivier est associé au culte d'Athéna et les oliviers sacrés qui appartenaient au domaine de l'État, étaient placés sous la garde d'Athéna Moria et « toute atteinte à ces arbres était susceptible de provoquer une accusation d'impiété. » (Lévèque et Séchan, 1990)
Sophocle chantait ainsi cet arbre sacré : « Il croît en Attique que partout ailleurs, … le plant indomptable qui se refait seul… l'olivier au feuillage glauque, le nourricier de nos enfants, l'arbre que personne, ni jeune, ni vieux, ne peut brutalement détruire ou saccager. Le regard de Zeus des oliveraies ne le quitte pas et pas davantage, celui d'Athéna aux yeux pers. »
Si le rite et son contenu symbolique soulève aujourd'hui au niveau de son approche, l'interrogation tout à fait pertinente des soubassements théoriques du discours anthropologique, les limites de ses options méthodologiques, ou ses choix idéologiques, cela ne doit nullement exclure la légitimité de l'étonnement purement philosophique qu'il tend à produire pour peu que l'observation s'y trouve portée. Dans une étude consacrée à Édouard Westermarck, Rahma Bourqia note que le rite tel qu'il est abordé par cet auteur ne peut malgré tout exclure la recherche de nouvelles interprétations des faits. On peut ainsi, à partir d'un corpus donné comme celui amassé par le célèbre anthropologue anglais, développer la réflexion « sur le présent sur la continuité de certaines pratiques rituelle et sur le rythme du temps culturel », écrit l'auteur de cette étude qui ajoute : « Bien que la démarche théorique de Wesermarck s'insère dans des paradigmes, dans la mesure où elle ne révolutionne pas le champ théorique de son époque…, son œuvre nous séduit parce qu'elle se veut actuelle par les données qu'elle comporte et par le terrain qu'elle décrit. » ( R. Bourqi'a, 1993 )
Notons que les nouvelles générations tendent, malgré une certaine ambivalence, à opérer de nouveaux modes de rapports avec ce fonds symbolique du terroir. Est-ce à dire que la mémoire en sera un jour frappée d'amnésie ?
L'une des questions soulevées dans ce type d'approche est celle de la coexistence de telles pratiques rituelles – apparaissant comme des « survivances païennes » d'un autre âge – avec la croyance musulmane monothéiste, laquelle se réclame (malékite et ash'arite) du plus pur rigorisme orthodoxe. Question théologique épineuse. Nous évoquerons à ce propos la tradition omarienne qui veut que le second calife aurait fait condamner l'arbre sous lequel le Prophète avait reçu l'allégeance d'un groupe de nouveaux disciples (Coran, XLVIII, 18) lorsqu'il s'est rendu compte que le végétal commençait à faire l'objet d'un certain culte après la disparition du Prophète. Le monothéisme musulman ne pouvait alors s'offrir la moindre entorse.
De telles pratiques rituelles, furent-elles tolérées dans les siècles ultérieurs ? Il reste à signaler que l'arbre oléagineux revêt dans la vulgate coranique, avec notamment le symbolisme de la lumière – épiphanie divine de la quittance spirituelle – la configuration d'une auréole suprême. Il suffit d'évoquer la valeur symbolique dont l'arbre oléagineux se trouve investi dans la sourate de la lumière : « Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Semblance de Sa lumière : une niche où brûle une lampe, la lampe dans un cristal, le cristal, on dirait une étoile de perle : elle tire son aliment d'un ordre de bénédiction, un olivier qui ne soit ni de l'Est, ni de l'Ouest, dont l'huile éclaire presque sans que la touche le feu. Lumière ! Dieu guide à Sa lumière qui Il vit… » (Coran, XXIV, 35).
RÉFÉRENCES
- Berque Jacques, le Coran, essai de traduction, Albin Michel, Paris, 1990.
- Bourqi'a Rahma, « Rituel, symbole et aléa dans la société rurale marocaine. Repenser Westermarcke » in Westermarck et la société marocaine. Col et Sem n° 27, Fac des lettres et des Sciences Humaines, Rabat, 1993.
- El Yousfi Sidi Mohamed, La dégradation forestière dans le sud marocain. Exemple de l'arganeraie d'Admine (Souss) entre 1966 et 1986, Mémoire de 3e cycle, Agronomie option Eaux et Forêts, Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, Rabat, 1988.
- Eliade Mircéa, Image de symboles, Gallimard, Paris, 1952.
- Lévèque P. et Sechan I., Les grandes divinités de la Grèce, Armand Colin, Paris, 1990.
- Westermarck Edouard, Survivances païennes dans la civilisation mahométane, Payot, Paris, 1935.