Tâda, un pacte sacré de pondération tribale [1]
L’homme accomplit des rites religieux ou civils pour marquer le passage d’un état, d’un statut, d’un monde... à un autre (cf. A. Van Gennep, 1981 : 35-56) ; exemple : le passage du profane au sacré, du célibat au mariage, de la guerre à la paix ou inversement. Dans le Maroc précolonial, société à état traditionnel dépourvu d’une puissante organisation centralisatrice, les conflits, si fréquents, se déroulaient à deux niveaux : d’un côté entre le Makhzen (pouvoir central) qui luttait sans relâche pour assujettir l’ensemble du pays et les tribus dissidentes qui lui résistaient farouchement ; de l’autre, entre les composantes d’une tribu, les tribus d’une "confédération" ou les "confédérations" de tribus. Sur ce second plan, notamment à l’intérieur des régions non soumises à l’administration de l’autorité souveraine, le maintien de l’équilibre intra- et intertribal se réalisait au moyen, entre autres, des pactes intergroupes tels que le traité de tadâ.
Nom d’action féminin du parler berbère tamazight, le mot tadâ semble, au sens étymologique, désigner l’allaitement collectif ; il dériverait peut-être de la racine DÊD ou TÊD qui fournit le verbe ddêd ou ttêd (téter) et les autres termes de la même famille lexicale : ûdûd (action de téter, succion), asuttêd (allaitement), amsuttâd (allaitement réciproque), etc. Au point de vue sociologique, la tadâ est un pacte bilatéral servant d’abord à faire passer les parties contractantes (tribus ou/et fractions de tribus) de la relation belliqueuse à la relation pacifique ; elle peut se définir comme une institution coutumière fondée sur un ensemble de pratiques et de croyances populaires qui, pour ainsi dire, lui donnent un caractère sacré et, partant, le pouvoir de protéger les individus, les groupes et leurs biens matériels contre l’agression et les convoitises extérieures. Dès lors, deux questions se posent : comment consacre-t-on le traité de tadâ ? et comment se manifeste la nature sacrale de ce traité ?
I. PROCESSUS DE LA CONSÉCRATION DU PACTE
Le pacte de tadâ se conclut à la suite d’un affrontement sanglant entre deux unités sociales composées chacune de plusieurs lignages se réclamant d’un ancêtre commun, réel ou fictif. Sous l’égide de leurs assemblées dirigeantes respectives ; jmaâ-s, les membres des groupes concernés se rassemblent à proximité du sanctuaire d’un saint ou près d’une enceinte maçonnée à ciel ouvert. Le rassemblement a pour matière une cérémonie comprenant deux rites : l’échange entre les parties au pacte des plats de couscous mêlé de lait de femme et le tirage au sort des chaussures des chefs de famille appartenant à ces parties. Les hommes mariés, seuls, mangent ensemble la nourriture cérémonielle que reçoit leur groupe. Consommer un repas à l’occasion du nouement d’un contrat n’a rien d’étonnant, mais y consommer un couscous contenant le lait de femme questionne, s’il était besoin, la socio-anthropologie des systèmes symboliques.
Le premier rite exprime sans doute le rapport social qu’instaure le phénomène du don et du contre-don ; phénomène qui, d’après Marcel Mauss (1989 : 258-259), exerce une contrainte sur les individus et les collectivités. Recevoir de la nourriture d’une personne ou lui donner à manger est un acte plus important et plus significatif que de manger en présence d’autrui [2]. Suivant la conception traditionnelle arabo-berbère, la nourriture – donnée ou reçue dans le cadre de l’hospitalité – crée entre l’amphitryon et le(s) convive(s) une relation intangible qui leur impose le devoir de respect et de confiance réciproques, voire l’obligation d’entraide et d’assistance mutuelle. La sacralité de la relation en question provient, nous dit Joseph Chelhod (1955 : 190), du fait que les denrées faisant l’objet du don alimentaire sont censées contenir quelque chose de sacré.
Ce quelque chose s’appelle la baraka : une sorte de pouvoir ou de fluide divin et dynamique qui, selon les cas, déchaîne les forces occultes du bien ou du mal ; fluide dont Dieu, d’après les croyances populaires, investit quelques êtres humains et certaines espèces animales et végétales. Aussi bien avant qu’après leur transformation en pain ou en couscous, les céréales (blé et orge, principale culture du Maroc précolonial) sont appelées baraka. Toujours est-il que, pour jouir ici-bas de l’action bénéfique de ces produits, il ne suffit pas de les manipuler avec précaution. Il faut surtout en offrir une partie, de préférence, sous forme de nourriture. Ce faisant, le donateur gagne en retour l’amitié du donataire. L’hospitalité fonde un lien élémentaire de subordination qui se volatilise du simple fait de rendre le don. Elle met celui qui la donne en position supérieure et celui qui la reçoit en position inférieure. Cette situation de positions inégales ne se produit pas pendant la conclusion de la tadâ, puisque les groupes célébrants échangent les plats rituels. Autrement dit, ils sont sur un pied d’égalité dans la mesure où chacun d’eux pratique simultanément le don et le contre-don.
L’interprétation populaire, reprise sous une forme savante par Georges Marcy (1936 : 957), reste muette quant au rôle que la nourriture joue dans la mise en place du pacte de tadâ. Elle porte cependant l’accent sur l’ingrédient qui particularise le repas cérémoniel, à savoir le lait de femme. La primauté ainsi accordée à la substance lactaire tient à l’efficacité du lait maternel pour tisser des liens de type parental entre des personnes non apparentées. Les femmes du groupe donateur sont présumées allaiter les hommes du groupe donataire et, en conséquence, les futurs alliés s’identifient aux frères de lait. D’ordinaire, lorsqu’un bébé tête une femme autre que sa génitrice, il devient "membre" de la famille nourricière mais sans y être intégré ou assimilé au point de changer de nom et d’avoir droit à la succession ; les parents le considèrent comme leur fils et les enfants comme leur frère. Pour sa part, il a envers eux des devoirs de respect, d’aide et de reconnaissance. Ce qui n’est pas sans rappeler le rapport amphitryon-convive. Du reste, chose absente des règles de l’hospitalité, il lui est interdit d’épouser ses sœurs de lait et sa nourrice [3]. Ces devoirs et obligations incombent également aux gens liés par la tadâ. Mais il ne faut pas croire que le lien de tadâ soit la réplique exacte de la relation établie par l’allaitement.
Le second rite, un des éléments qui distinguent la tadâ de la parenté de lait, semble compléter ou préciser le premier. Après avoir consommé les mets rituels, les intéressés se réunissent en vue d’exécuter ce rite. Ils se déchaussent et posent par terre l’une ou l’autre chaussure de manière à former un tas pratiquement constitué de chaussures droites du groupe A et de chaussures gauches du groupe B ou vice-versa. Une fois les chaussures rassemblées et dissimulées sous une couverture, l’homme le plus âgé des contractants (Coursimault, 1916 : 262) ou deux notables (G. Surdon, 1928 : 124-125) issu(s) des deux groupes procède(ent) à l’opération du tirage au sort. Du tas, il(s) extrait(ent), une par une, les paires de chaussures et les présente(ent) à l’assistance. Désormais, les propriétaires des chaussures composant chaque paire sont déclarés unis par le pacte. Le tirage de la dernière paire étant effectué, les participants se rechaussent.
Le recours au procédé du hasard vise à escamoter d’éventuelles contestations et à couper court au traitement de faveur. Ni la richesse ni la pauvreté (ou autres critères) ne sauraient donc entrer en jeu. Tout chef de famille du groupe A peut avoir pour proche allié tout homme marié du groupe B et réciproquement. Les contractants s’estiment égaux quelle que soit leur condition sociale. Ils ressemblent en quelque sorte aux moitiés d’une paire de chaussures. Comme elles, ils sont symétriques, c’est-à-dire semblables et opposés ou différents. Cela dit, essayons à présent de comprendre ce que l’action de se déchausser signifie.
Nombre de sociétés accordent une importance particulière à ce geste simple que nous exécutons tous les jours. Au Maroc comme partout au Maghreb, on se conforme à l’obligation de s’engager nu-pieds dans les lieux sacrés tels que la mosquée et le sanctuaire. Franchir le seuil de la salle de prière ou de la chambre funéraire sans se déchausser, c’est, au sens exégétique, y introduire la souillure et, de ce fait, s’exposer à la malédiction divine. Remarque : pour peu qu’on prête attention aux objets se trouvant dans les endroits saints des édifices cultuels, on ne manquera pas de voir des chaussures posées à côté de certains fidèles en pleine dévotion. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Tout en étant synonyme d’impureté à cause de son contact avec les ordures, la chaussure est considérée comme un objet de valeur non pas pour son utilité matérielle, mais en raison de sa charge symbolique. La signification de cette charge varie suivant les civilisations ou/et les situations (cf. La Bible, Ruth IV, 7-8 ; E. Cassain, 1978 : 294-315 ; M. Granet, 1948 : 219-228 ; M. Gast & J.-P. Jacob, 1978-79 : 223-233). Du point de vue qui nous intéresse, la symbolique de la chaussure touche la propriété foncière. Une coutume kabyle (Algérie), décrite et expliquée par Jean Servier (1985 : 123-126), est à cet égard instructive : quand un différend s’élève au sujet de l’acquisition d’un lopin de terre, les contestataires doivent jurer sur la tombe d’un saint que le droit de propriété leur revient ; après quoi, chaussés (condition sine qua non), ils vont frapper du pied droit le sol de la parcelle litigieuse en récitant les paroles du serment. Aux yeux de l’auteur, cet acte gestuel (et généralement le fait de marcher avec des chaussures) symbolise la prise de possession immobilière. La mosquée (maison de Dieu) et le sanctuaire (demeure du saint), souligne-t-il, ne sont pas susceptibles d’appropriation ; alors, on est tenu d’enlever ses chaussures avant d’y pénétrer.
Ce qui vient d’être dit éclaire pleinement le cas des parties au pacte. Les contractants se déchaussent pendant l’exécution du rite de la chaussure et après la conclusion du traité, c’est-à-dire quand les uns foulent le sol des autres. De cette manière, les membres du groupe A montrent qu’ils n’ont sur le territoire du groupe B, et inversement, aucun droit de propriété à faire valoir. Il s’agit là d’un moyen pacifique pour lutter contre l’empiétement et la spoliation liés au semi-nomadisme guerrier de l’époque précoloniale. époque où la pratique de la tadâ occupait une place sensible dans l’organisation tribale. Au fait, quelle est l’origine du pouvoir attribué à la chaussure ?
Ledit pouvoir semble provenir du pied et de toutes les forces qu’on rattache à cet organe. Au niveau physique, les pieds constituent la base sur laquelle repose le corps tout entier de l’homme en station verticale. Leur malformation fait apparaître une certaine irrégularité du corps orthostatique et en mouvement. Au plan symbolique, l’intérêt porté au pied n’est pas moindre (cf. A. Souzenelle, 1991 : 87-117). Par l’expression "être sous le pied", les Berbères du Maroc central entendent "être sous l’autorité de...". L’autorité, c’est aussi le pouvoir, la force et la puissance. Le pied exprime le pouvoir ; pouvoir de marcher, de se déplacer, de courir, de fuir, etc. Les entraves du prisonnier et de l’esclave n’ont-elles pas été inventées pour soumettre ces individus et les empêcher de s’évader ? Source d’énergie et symbole d’autorité, il est également tenu pour un lieu fragile. (Achille "au pied léger" et au talon vulnérable ne dirait pas le contraire). Dans l’esprit du Marocain illettré, la mort pénètre le corps par les pieds et le quitte par la tête. Tout bien considéré, ce caractère ambivalent (force/faiblesse) rappelle l’ambivalence de la chaussure en tant que symbole (objet de valeur et synonyme d’impureté et d’ordure). En un mot, la chaussure amplifie les caractéristiques qu’on accorde au pied.
Cependant, une question demande à être élucidée en vue de mieux montrer comment le rituel sert à consacrer les liens intergroupes. Pourquoi contracte-t-on la tadâ dans le voisinage du sanctuaire d’un saint ou d’une enceinte maçonnée en forme de margelle ? A dire vrai, on ne saurait saisir la fonction de ces édifices dans la conclusion de la tadâ sans prendre en compte le culte des saints ; une pratique largement observée dans les milieux ruraux et populaires marocains (cf. P. Pascon, 1985 : 80). Les gens du peuple assignent au saint de multiples vertus, puisqu’il passe pour détenir un pouvoir surnaturel ; la baraka. Ceci lui permet d’accomplir des actes fastes ou néfastes suivant qu’il est comblé ou lésé. Il peut guérir des maladies incurables, faire tomber la pluie, calmer la tempête aussi bien naturelle que sociale (luttes tribales, litiges interfamiliaux...), etc. En revanche, il est capable d’anéantir un troupeau d’animaux domestiques, de causer une infirmité physique ou mentale à une personne, de brûler à distance un champ de céréales, de rendre inféconde une femme ou une femelle, etc. C’est pourquoi, de son vivant et plus encore après sa mort, le détenteur de la baraka (ou le faiseur de "miracles") est placé au-dessus de la mêlée, vénéré et sollicité. On se rend au sanctuaire abritant sa tombe pour y prêter serment, régler un différend ou demander une faveur après y avoir déposé des offrandes.
De son vivant, le saint sillonne les territoires des tribus pour recevoir ou récolter des dons et bénir les donateurs. Souvent à la demande de ces derniers, il leur édifie un modeste monument : en règle générale une enceinte construite avec des pierres brutes et de l’argile délayée dans l’eau, de forme circulaire, à ciel ouvert et d’environ 0,50 m. de hauteur et 0,80 m. de diamètre. Dans diverses civilisations, parce qu’elle est solide et relativement pérenne, la pierre fait figure de fixateur du pouvoir supranaturel ou des forces invisibles (cf. A.-M. Hocart, 1973 : 38-43). Par son contact avec le matériau, doit-on donc comprendre, le saint y applique l’empreinte du fluide divin [4]; il le sacralise. Ainsi érigée, l’enceinte sera désormais l’objet de culte et de dévotion au même titre que le sanctuaire.
L’analyse qui précède fournit les éléments nécessaires et suffisants pour affirmer que le rituel peut être un acte sanctifiant des relations intergroupes. La rencontre de certains contractants près d’une enceinte cultuelle et la réunion d’autres dans les environs du sanctuaire d’un saint ont un même objectif : la consécration du pacte de tadâ.
Cette consécration se réalise par le fait que les membres des partis intéressés placent leur pacte sous la protection de la puissance divine supposée être fixée dans ces monuments et prennent le saint pour témoin de cet événement. Sans doute, soit dit en passant, l’Islam orthodoxe et l’islamisme traitent-ils ces pratiques et croyances d’hérésie ou de non-conformité aux enseignements de la religion musulmane, puisque celle-ci interdit au croyant d’adresser son adoration à une autre divinité qu’Allah. La question n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser. L’Islam du peuple ou populaire est loin d’être l’application absolue et fidèle de l’Islam du Livre.
La consécration du lien de tadâ se réalise en outre par le biais de la consommation du repas des uns par les autres. Si de coutume le don alimentaire (l’hospitalité), pour les raisons précitées, rattache ou subordonne le donataire au donateur, il établit entre les collectivités célébrantes un rapport sacré ou perçu comme tel. Sacré non seulement parce que le repas contient des ingrédients (céréales et lait de femme) "chargés" d’effluve sacré, mais aussi parce que c’est un repas religieux (pas toujours au sens islamique), c’est-à-dire qu’il est préparé, offert et consommé dans des lieux sanctifiés ou sous le patronage du sanctificateur de ces lieux.
II. MANIFESTATION DE LA NATURE SACRALE DU PACTE
En vertu des rites accomplis et du pacte conclu, les contractants se considèrent comme des frères de lait, voire plus ; les uns deviennent des êtres sacrés aux yeux des autres. Quand un homme s’adresse à son allié, il fait précéder son nom du titre honorifique (sidi) réservé en principe au détenteur de l’énergie divine ou de pouvoir temporel. Il le place au même niveau qu’un saint, jure par lui et ne peut contester ni refuser son arbitrage dans le règlement d’un conflit – même en cas de meurtre. Et pour cause : la personne de l’allié ou, mieux encore, le lien inter-alliés (la tadâ) est regardé comme une force sacrée, donc redoutable. La nature sacrale de ce lien se manifeste particulièrement dans deux des obligations pesant sur les u-tadâ-s [5], soit l’interdiction du mariage et la prohibition de la violence [6].
La réalisation d’une alliance matrimoniale ou d’une action violente dans le réseau des relations propres au pacte est – au sens des alliés – une anomalie, une horreur ou un péché. En d’autres termes, épouser une femme du groupe allié ou porter atteinte à la personne et/ou aux biens d’un individu de ce groupe, c’est transgresser le traité de tadâ et, par conséquent, être passible de sanction. Mais pourquoi un homme et une femme liés par la tadâ n’ont-ils pas le droit de s’unir par le mariage ? Qu’est-ce qui fait que la violence soit prohibée dans un contexte socio-historique où le recours à l’emploi de la violence est quasi légitime ? Si violation de ces interdits il y a, quel genre de peine encoure le violateur ?
Au terme des perceptions populaires, les liens du mariage et les actes de violence ne doivent en aucune façon se produire entre les gens du traité. Car, en considération du lait de femme contenu dans la nourriture cérémonielle et de la consommation de celle-ci dans un endroit participant de l’espace sacré, les membres de chacune des unités alliées tiennent les hommes et les femmes de l’autre pour des frères et sœurs ou pour des saints et saintes. Tout se passe comme si le principe prohibitif de ces liens et actes était l’allaitement symbolique (ou la parenté de lait) doublé(e) de l’effluve divin et dynamique.
Dans les pays de confession islamique, la parenté de lait se substitue à la parenté biologique en matière de mariage. Un garçon et une fille allaités d’un même sein ne sont pas en droit de se marier ni d’avoir des relations sexuelles parce qu’ils tiennent lieu de frère et de soeur proprement dits. Mais, tout comme les cousins parallèles ou croisés, leurs enfants peuvent s’épouser. Ce qui n’est pas le cas des u tadâ-s, même s’ils se confondent avec les frères et soeurs de lait. Qu’il s’agisse des contractants ou de leurs descendants (enfants, petits enfants, arrière-petits-enfants...), le champ matrimonial est toujours fermé: point d’union conjugale entre un homme et une femme tant que leurs groupes entretiennent la relation de tadâ.
L’interdit matrimonial s’étend à plusieurs générations du fait que chacun des groupes u tadâ-s est pour l’autre un ensemble d’individus assimilables non seulement aux frères de lait mais encore aux personnages sacrés, c’est-à-dire dotés de pouvoir surnaturel et éternel ; la baraka, et dignes d’un respect absolu : nul ne doit faire, dire ou penser du mal envers ses allié(e)s. Cette exigence semble incompatible avec le mariage pour la simple raison que le ménage est en soi porteur d’antagonismes. Il n’est pas de couple où il n’arrive jamais aux conjoints de vivre des moments de tensions sourdes ou exprimées. Celui qui prend pour épouse sa "soeur" du pacte ne fait pas que violer l’interdit matrimonial ; il manque aussi à la règle prohibant la violence, puisque la vie conjugale engendre des querelles. Justement, c’est pour éviter toute action susceptible de nuire à la personne sacrée de l’ul tadâ et quelque fâcheux effet pouvant en découler que les parties alliées bannissent les unions de leurs relations.
Sont également bannis de leurs rapports les gestes ignobles, les paroles abjectes, les intentions malveillantes ; bref, les actes de violence physique et morale. Cela fait penser à la situation des frères de lait plutôt qu’à celle des frères biologiques. Contrairement aux premiers dont le lien repose sur le respect réciproque, les seconds ne sont pas à l’abri des démêlés. La question d’héritage en est le meilleur exemple. Par suite de l’utilité économique et de la valeur symbolique des biens successoraux (A. Gotman, 1988 : III), le partage du patrimoine entre les enfants d’un défunt s’accompagne de conflits latents ou manifestes. Les frères de lait ne risquent pas de connaître de tels conflits en ce sens que la fraternité ou la parenté créée par l’allaitement ne donne aucun droit de succession. Ils n’ont pas en commun ce qui unit ou oppose les frères germains, consanguins ou utérins ; à savoir la richesse matérielle et le patrimoine symbolique de la famille. Sans nul doute est-ce pour cela qu’ils sont un modèle d’entente et d’harmonie et que les u tadâ-s adoptent leur comportement : ni différend, ni dispute.
L’interdiction de la violence vient aussi de ce que l’u tadâ est un être imprégné de baraka pour son homologue. Les gens de la baraka sont respectés tant par ferveur religieuse que par peur de s’attirer les foudres de la malédiction divine. Ce qui n’est pas sans rapport avec la question du manquement à la prohibition du mariage et de la violence ; question dont l’examen ne peut qu’éclairer davantage le caractère sacré du lien interallié.
Ce manquement suppose non pas une sanction terrestre (amende, incarcération, exil...) mais une peine magico-religieuse ou un châtiment céleste. C’est-à-dire qu’il met en mouvement le côté maléfique du fluide divin que les "frères" du pacte portent en eux. Du fait de l’influence pernicieuse de ce fluide, le transgresseur des interdits peut contracter une maladie, avoir un accident, tomber dans la misère ou perdre la vie. La croyance en l’existence des puissances occultes et en leur intervention en tant que force répressive des actions répréhensibles des hommes est l’une des caractéristiques des sociétés dites traditionnelles (voir J. Servier, 1964 : 159-170). D’après la tradition orale, lesdits interdits sont rarement violés et ce, nous paraît-il, grâce à une foule de récits mythiques tissus autour du phénomène de la tadâ. Récits dont le plus célèbre est l’histoire de la chaîne se transformant en serpent.
Si vous interrogez un vieillard du Maroc central au sujet de la tadâ, il ne manquera pas de vous dire qu’un ou plusieurs individus de la tribu X se rendirent un jour à tel endroit. Sur leur chemin traversant le territoire de la tribu Y, ils aperçurent une chaîne près d’un ancien emplacement des tentes de transhumants. L’un d’eux voulut la prendre. Au moment où il se pencha pour la ramasser, elle se métamorphosa en vipère. Stupéfait, il s’éloigna. Le reptile redevint ce qu’il était auparavant. Quand il s’en approcha de nouveau, l’objet reprit la forme ophidienne. Réflexion faite, ils comprirent que la chaîne appartenait à leurs alliés (les gens de la tribu Y).
Et si vous lui demandez des précisions à propos de la pièce maîtresse du récit ; la chaîne, il vous répondra : celle qui unit les deux anneaux métalliques qu’on place au niveau inférieur des jambes antérieures des chevaux et des mulets pour les empêcher de s’éloigner ou de se sauver. Mais, il y a plus : la signification symbolique de l’objet concret et de sa métamorphose.
D’un bout à l’autre du monde et depuis l’antiquité au moins, la chaîne a toujours été le symbole des rapports "entre deux extrêmes ou deux êtres" (J. Chevalier & A. Geerbrant, 1985 : 200). A partir de là , il y a lieu de croire que la chaîne symbolise la tadâ qui est, en effet, un pacte bilatéral par excellence. La première attache deux anneaux, la seconde relie deux groupes. Ce pacte est sacré et dangereux. Ses principes et obligations doivent être respectés, autrement il devient semblable à la chaîne s’incarnant dans le corps ophidien. Entant qu’animal crachant la mort, le serpent représente la force invisible (le pouvoir de la tadâ) dans sa réaction maléfique. Le malheur ou le châtiment supposé en être l’émanation ressemble à la morsure du reptile venimeux ; il peut être fatal pour le violateur de l’interdiction du mariage et de la prohibition de la violence.
Tout compte fait, ce genre de récit, si burlesque puisse-t-il paraître, joue un rôle préventif. Il met en garde le pratiquant de la tadâ contre la violation des interdits qui lui sont prescrits. Bien entendu, l’efficacité du récit mythique, c’est-à-dire son impact sur l’auditeur, dépend du fait d’y croire. Le pratiquant en question y croit forcément parce qu’il naît et évolue dans un environnement qui baigne dans l’univers du sacré: culte des saints, vénération des créatures invisibles (génies), etc. Il croit à la légende dans la mesure où, justement, elle lui parle du phénomène mystérieux du sacré. Phénomène que l’homme conçoit comme une puissance périlleuse et redoutable (cf. R. Caillois, 1991 : 30-31). Objet de croyance populaire, le récit mythique fascine l’esprit, inspire l’effroi et, partant, avertit l’éventuel imprudent du danger qui le guette.
En dernière analyse, le récit mythique ne fait qu’amplifier l’idée que le pacte de tadâ est une relation sacrée et dangereuse. C’est apparemment en vertu de la crainte qu’il insufflait aux contractants que, jusqu’à la fin de la "pacification" (expression euphémique de conquête militaire) du Maroc en 1934, ce traité a joué un rôle capital dans l’équilibre des populations pastorales et guerrières. Deux conditions indispensables à la régulation intra- et intertribale ont été instaurées au moyen de la tadâ. La première concerne le règlement des conflits interindividuels et intergroupes de manière pacifique dans un milieu sensible et propice aux luttes intestines. La seconde intéresse la création de zones neutres ou de non-violence nécessaires à réaliser la production économique basée sur le déplacement des troupeaux.
Aujourd’hui, la tadâ ne fonctionne plus en tant que facteur régulateur de l’organisation tribale. Sa quasi-disparition s’explique, nous semble-t-il, par trois faits qui, à des degrés variables, ont affecté la société marocaine pendant les périodes coloniale et post-coloniale. Il s’agit du bouleversement du domaine politico-judiciaire (centralisation de l’appareil étatique, instauration des tribunaux et déstructuration de l’assemblée dirigeante au niveau local : jmaâ), de la transformation du secteur économique (substitution de l’agriculture à l’élevage transhumant) et de la mutation des représentations collectives (régression des croyances ancestrales et progression des idées nouvelles par la voie de l’école, des médias et d’autres canaux de communication).
Ce constat peut être formulé d’une façon théorique plus globale : l’apparition d’un pouvoir centralisé, structuré autour des cités urbaines a progressivement surclassé puis éliminé la valeur opératoire des règles adoptées par les sociétés nomades (ou semi-nomades) qui régissaient précédemment des régions tout entières. En d’autres termes, les populations nomades ne maîtrisent plus les "rapports de production" ; les règles qui les régissaient et qui participaient à cette maîtrise sont tombées en désuétude.
HAMMOU BELGHAZI
NOTES
RÉFÉRENCES
Nom d’action féminin du parler berbère tamazight, le mot tadâ semble, au sens étymologique, désigner l’allaitement collectif ; il dériverait peut-être de la racine DÊD ou TÊD qui fournit le verbe ddêd ou ttêd (téter) et les autres termes de la même famille lexicale : ûdûd (action de téter, succion), asuttêd (allaitement), amsuttâd (allaitement réciproque), etc. Au point de vue sociologique, la tadâ est un pacte bilatéral servant d’abord à faire passer les parties contractantes (tribus ou/et fractions de tribus) de la relation belliqueuse à la relation pacifique ; elle peut se définir comme une institution coutumière fondée sur un ensemble de pratiques et de croyances populaires qui, pour ainsi dire, lui donnent un caractère sacré et, partant, le pouvoir de protéger les individus, les groupes et leurs biens matériels contre l’agression et les convoitises extérieures. Dès lors, deux questions se posent : comment consacre-t-on le traité de tadâ ? et comment se manifeste la nature sacrale de ce traité ?
I. PROCESSUS DE LA CONSÉCRATION DU PACTE
Le pacte de tadâ se conclut à la suite d’un affrontement sanglant entre deux unités sociales composées chacune de plusieurs lignages se réclamant d’un ancêtre commun, réel ou fictif. Sous l’égide de leurs assemblées dirigeantes respectives ; jmaâ-s, les membres des groupes concernés se rassemblent à proximité du sanctuaire d’un saint ou près d’une enceinte maçonnée à ciel ouvert. Le rassemblement a pour matière une cérémonie comprenant deux rites : l’échange entre les parties au pacte des plats de couscous mêlé de lait de femme et le tirage au sort des chaussures des chefs de famille appartenant à ces parties. Les hommes mariés, seuls, mangent ensemble la nourriture cérémonielle que reçoit leur groupe. Consommer un repas à l’occasion du nouement d’un contrat n’a rien d’étonnant, mais y consommer un couscous contenant le lait de femme questionne, s’il était besoin, la socio-anthropologie des systèmes symboliques.
Le premier rite exprime sans doute le rapport social qu’instaure le phénomène du don et du contre-don ; phénomène qui, d’après Marcel Mauss (1989 : 258-259), exerce une contrainte sur les individus et les collectivités. Recevoir de la nourriture d’une personne ou lui donner à manger est un acte plus important et plus significatif que de manger en présence d’autrui [2]. Suivant la conception traditionnelle arabo-berbère, la nourriture – donnée ou reçue dans le cadre de l’hospitalité – crée entre l’amphitryon et le(s) convive(s) une relation intangible qui leur impose le devoir de respect et de confiance réciproques, voire l’obligation d’entraide et d’assistance mutuelle. La sacralité de la relation en question provient, nous dit Joseph Chelhod (1955 : 190), du fait que les denrées faisant l’objet du don alimentaire sont censées contenir quelque chose de sacré.
Ce quelque chose s’appelle la baraka : une sorte de pouvoir ou de fluide divin et dynamique qui, selon les cas, déchaîne les forces occultes du bien ou du mal ; fluide dont Dieu, d’après les croyances populaires, investit quelques êtres humains et certaines espèces animales et végétales. Aussi bien avant qu’après leur transformation en pain ou en couscous, les céréales (blé et orge, principale culture du Maroc précolonial) sont appelées baraka. Toujours est-il que, pour jouir ici-bas de l’action bénéfique de ces produits, il ne suffit pas de les manipuler avec précaution. Il faut surtout en offrir une partie, de préférence, sous forme de nourriture. Ce faisant, le donateur gagne en retour l’amitié du donataire. L’hospitalité fonde un lien élémentaire de subordination qui se volatilise du simple fait de rendre le don. Elle met celui qui la donne en position supérieure et celui qui la reçoit en position inférieure. Cette situation de positions inégales ne se produit pas pendant la conclusion de la tadâ, puisque les groupes célébrants échangent les plats rituels. Autrement dit, ils sont sur un pied d’égalité dans la mesure où chacun d’eux pratique simultanément le don et le contre-don.
L’interprétation populaire, reprise sous une forme savante par Georges Marcy (1936 : 957), reste muette quant au rôle que la nourriture joue dans la mise en place du pacte de tadâ. Elle porte cependant l’accent sur l’ingrédient qui particularise le repas cérémoniel, à savoir le lait de femme. La primauté ainsi accordée à la substance lactaire tient à l’efficacité du lait maternel pour tisser des liens de type parental entre des personnes non apparentées. Les femmes du groupe donateur sont présumées allaiter les hommes du groupe donataire et, en conséquence, les futurs alliés s’identifient aux frères de lait. D’ordinaire, lorsqu’un bébé tête une femme autre que sa génitrice, il devient "membre" de la famille nourricière mais sans y être intégré ou assimilé au point de changer de nom et d’avoir droit à la succession ; les parents le considèrent comme leur fils et les enfants comme leur frère. Pour sa part, il a envers eux des devoirs de respect, d’aide et de reconnaissance. Ce qui n’est pas sans rappeler le rapport amphitryon-convive. Du reste, chose absente des règles de l’hospitalité, il lui est interdit d’épouser ses sœurs de lait et sa nourrice [3]. Ces devoirs et obligations incombent également aux gens liés par la tadâ. Mais il ne faut pas croire que le lien de tadâ soit la réplique exacte de la relation établie par l’allaitement.
Le second rite, un des éléments qui distinguent la tadâ de la parenté de lait, semble compléter ou préciser le premier. Après avoir consommé les mets rituels, les intéressés se réunissent en vue d’exécuter ce rite. Ils se déchaussent et posent par terre l’une ou l’autre chaussure de manière à former un tas pratiquement constitué de chaussures droites du groupe A et de chaussures gauches du groupe B ou vice-versa. Une fois les chaussures rassemblées et dissimulées sous une couverture, l’homme le plus âgé des contractants (Coursimault, 1916 : 262) ou deux notables (G. Surdon, 1928 : 124-125) issu(s) des deux groupes procède(ent) à l’opération du tirage au sort. Du tas, il(s) extrait(ent), une par une, les paires de chaussures et les présente(ent) à l’assistance. Désormais, les propriétaires des chaussures composant chaque paire sont déclarés unis par le pacte. Le tirage de la dernière paire étant effectué, les participants se rechaussent.
Le recours au procédé du hasard vise à escamoter d’éventuelles contestations et à couper court au traitement de faveur. Ni la richesse ni la pauvreté (ou autres critères) ne sauraient donc entrer en jeu. Tout chef de famille du groupe A peut avoir pour proche allié tout homme marié du groupe B et réciproquement. Les contractants s’estiment égaux quelle que soit leur condition sociale. Ils ressemblent en quelque sorte aux moitiés d’une paire de chaussures. Comme elles, ils sont symétriques, c’est-à-dire semblables et opposés ou différents. Cela dit, essayons à présent de comprendre ce que l’action de se déchausser signifie.
Nombre de sociétés accordent une importance particulière à ce geste simple que nous exécutons tous les jours. Au Maroc comme partout au Maghreb, on se conforme à l’obligation de s’engager nu-pieds dans les lieux sacrés tels que la mosquée et le sanctuaire. Franchir le seuil de la salle de prière ou de la chambre funéraire sans se déchausser, c’est, au sens exégétique, y introduire la souillure et, de ce fait, s’exposer à la malédiction divine. Remarque : pour peu qu’on prête attention aux objets se trouvant dans les endroits saints des édifices cultuels, on ne manquera pas de voir des chaussures posées à côté de certains fidèles en pleine dévotion. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Tout en étant synonyme d’impureté à cause de son contact avec les ordures, la chaussure est considérée comme un objet de valeur non pas pour son utilité matérielle, mais en raison de sa charge symbolique. La signification de cette charge varie suivant les civilisations ou/et les situations (cf. La Bible, Ruth IV, 7-8 ; E. Cassain, 1978 : 294-315 ; M. Granet, 1948 : 219-228 ; M. Gast & J.-P. Jacob, 1978-79 : 223-233). Du point de vue qui nous intéresse, la symbolique de la chaussure touche la propriété foncière. Une coutume kabyle (Algérie), décrite et expliquée par Jean Servier (1985 : 123-126), est à cet égard instructive : quand un différend s’élève au sujet de l’acquisition d’un lopin de terre, les contestataires doivent jurer sur la tombe d’un saint que le droit de propriété leur revient ; après quoi, chaussés (condition sine qua non), ils vont frapper du pied droit le sol de la parcelle litigieuse en récitant les paroles du serment. Aux yeux de l’auteur, cet acte gestuel (et généralement le fait de marcher avec des chaussures) symbolise la prise de possession immobilière. La mosquée (maison de Dieu) et le sanctuaire (demeure du saint), souligne-t-il, ne sont pas susceptibles d’appropriation ; alors, on est tenu d’enlever ses chaussures avant d’y pénétrer.
Ce qui vient d’être dit éclaire pleinement le cas des parties au pacte. Les contractants se déchaussent pendant l’exécution du rite de la chaussure et après la conclusion du traité, c’est-à-dire quand les uns foulent le sol des autres. De cette manière, les membres du groupe A montrent qu’ils n’ont sur le territoire du groupe B, et inversement, aucun droit de propriété à faire valoir. Il s’agit là d’un moyen pacifique pour lutter contre l’empiétement et la spoliation liés au semi-nomadisme guerrier de l’époque précoloniale. époque où la pratique de la tadâ occupait une place sensible dans l’organisation tribale. Au fait, quelle est l’origine du pouvoir attribué à la chaussure ?
Ledit pouvoir semble provenir du pied et de toutes les forces qu’on rattache à cet organe. Au niveau physique, les pieds constituent la base sur laquelle repose le corps tout entier de l’homme en station verticale. Leur malformation fait apparaître une certaine irrégularité du corps orthostatique et en mouvement. Au plan symbolique, l’intérêt porté au pied n’est pas moindre (cf. A. Souzenelle, 1991 : 87-117). Par l’expression "être sous le pied", les Berbères du Maroc central entendent "être sous l’autorité de...". L’autorité, c’est aussi le pouvoir, la force et la puissance. Le pied exprime le pouvoir ; pouvoir de marcher, de se déplacer, de courir, de fuir, etc. Les entraves du prisonnier et de l’esclave n’ont-elles pas été inventées pour soumettre ces individus et les empêcher de s’évader ? Source d’énergie et symbole d’autorité, il est également tenu pour un lieu fragile. (Achille "au pied léger" et au talon vulnérable ne dirait pas le contraire). Dans l’esprit du Marocain illettré, la mort pénètre le corps par les pieds et le quitte par la tête. Tout bien considéré, ce caractère ambivalent (force/faiblesse) rappelle l’ambivalence de la chaussure en tant que symbole (objet de valeur et synonyme d’impureté et d’ordure). En un mot, la chaussure amplifie les caractéristiques qu’on accorde au pied.
Cependant, une question demande à être élucidée en vue de mieux montrer comment le rituel sert à consacrer les liens intergroupes. Pourquoi contracte-t-on la tadâ dans le voisinage du sanctuaire d’un saint ou d’une enceinte maçonnée en forme de margelle ? A dire vrai, on ne saurait saisir la fonction de ces édifices dans la conclusion de la tadâ sans prendre en compte le culte des saints ; une pratique largement observée dans les milieux ruraux et populaires marocains (cf. P. Pascon, 1985 : 80). Les gens du peuple assignent au saint de multiples vertus, puisqu’il passe pour détenir un pouvoir surnaturel ; la baraka. Ceci lui permet d’accomplir des actes fastes ou néfastes suivant qu’il est comblé ou lésé. Il peut guérir des maladies incurables, faire tomber la pluie, calmer la tempête aussi bien naturelle que sociale (luttes tribales, litiges interfamiliaux...), etc. En revanche, il est capable d’anéantir un troupeau d’animaux domestiques, de causer une infirmité physique ou mentale à une personne, de brûler à distance un champ de céréales, de rendre inféconde une femme ou une femelle, etc. C’est pourquoi, de son vivant et plus encore après sa mort, le détenteur de la baraka (ou le faiseur de "miracles") est placé au-dessus de la mêlée, vénéré et sollicité. On se rend au sanctuaire abritant sa tombe pour y prêter serment, régler un différend ou demander une faveur après y avoir déposé des offrandes.
De son vivant, le saint sillonne les territoires des tribus pour recevoir ou récolter des dons et bénir les donateurs. Souvent à la demande de ces derniers, il leur édifie un modeste monument : en règle générale une enceinte construite avec des pierres brutes et de l’argile délayée dans l’eau, de forme circulaire, à ciel ouvert et d’environ 0,50 m. de hauteur et 0,80 m. de diamètre. Dans diverses civilisations, parce qu’elle est solide et relativement pérenne, la pierre fait figure de fixateur du pouvoir supranaturel ou des forces invisibles (cf. A.-M. Hocart, 1973 : 38-43). Par son contact avec le matériau, doit-on donc comprendre, le saint y applique l’empreinte du fluide divin [4]; il le sacralise. Ainsi érigée, l’enceinte sera désormais l’objet de culte et de dévotion au même titre que le sanctuaire.
L’analyse qui précède fournit les éléments nécessaires et suffisants pour affirmer que le rituel peut être un acte sanctifiant des relations intergroupes. La rencontre de certains contractants près d’une enceinte cultuelle et la réunion d’autres dans les environs du sanctuaire d’un saint ont un même objectif : la consécration du pacte de tadâ.
Cette consécration se réalise par le fait que les membres des partis intéressés placent leur pacte sous la protection de la puissance divine supposée être fixée dans ces monuments et prennent le saint pour témoin de cet événement. Sans doute, soit dit en passant, l’Islam orthodoxe et l’islamisme traitent-ils ces pratiques et croyances d’hérésie ou de non-conformité aux enseignements de la religion musulmane, puisque celle-ci interdit au croyant d’adresser son adoration à une autre divinité qu’Allah. La question n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser. L’Islam du peuple ou populaire est loin d’être l’application absolue et fidèle de l’Islam du Livre.
La consécration du lien de tadâ se réalise en outre par le biais de la consommation du repas des uns par les autres. Si de coutume le don alimentaire (l’hospitalité), pour les raisons précitées, rattache ou subordonne le donataire au donateur, il établit entre les collectivités célébrantes un rapport sacré ou perçu comme tel. Sacré non seulement parce que le repas contient des ingrédients (céréales et lait de femme) "chargés" d’effluve sacré, mais aussi parce que c’est un repas religieux (pas toujours au sens islamique), c’est-à-dire qu’il est préparé, offert et consommé dans des lieux sanctifiés ou sous le patronage du sanctificateur de ces lieux.
II. MANIFESTATION DE LA NATURE SACRALE DU PACTE
En vertu des rites accomplis et du pacte conclu, les contractants se considèrent comme des frères de lait, voire plus ; les uns deviennent des êtres sacrés aux yeux des autres. Quand un homme s’adresse à son allié, il fait précéder son nom du titre honorifique (sidi) réservé en principe au détenteur de l’énergie divine ou de pouvoir temporel. Il le place au même niveau qu’un saint, jure par lui et ne peut contester ni refuser son arbitrage dans le règlement d’un conflit – même en cas de meurtre. Et pour cause : la personne de l’allié ou, mieux encore, le lien inter-alliés (la tadâ) est regardé comme une force sacrée, donc redoutable. La nature sacrale de ce lien se manifeste particulièrement dans deux des obligations pesant sur les u-tadâ-s [5], soit l’interdiction du mariage et la prohibition de la violence [6].
La réalisation d’une alliance matrimoniale ou d’une action violente dans le réseau des relations propres au pacte est – au sens des alliés – une anomalie, une horreur ou un péché. En d’autres termes, épouser une femme du groupe allié ou porter atteinte à la personne et/ou aux biens d’un individu de ce groupe, c’est transgresser le traité de tadâ et, par conséquent, être passible de sanction. Mais pourquoi un homme et une femme liés par la tadâ n’ont-ils pas le droit de s’unir par le mariage ? Qu’est-ce qui fait que la violence soit prohibée dans un contexte socio-historique où le recours à l’emploi de la violence est quasi légitime ? Si violation de ces interdits il y a, quel genre de peine encoure le violateur ?
Au terme des perceptions populaires, les liens du mariage et les actes de violence ne doivent en aucune façon se produire entre les gens du traité. Car, en considération du lait de femme contenu dans la nourriture cérémonielle et de la consommation de celle-ci dans un endroit participant de l’espace sacré, les membres de chacune des unités alliées tiennent les hommes et les femmes de l’autre pour des frères et sœurs ou pour des saints et saintes. Tout se passe comme si le principe prohibitif de ces liens et actes était l’allaitement symbolique (ou la parenté de lait) doublé(e) de l’effluve divin et dynamique.
Dans les pays de confession islamique, la parenté de lait se substitue à la parenté biologique en matière de mariage. Un garçon et une fille allaités d’un même sein ne sont pas en droit de se marier ni d’avoir des relations sexuelles parce qu’ils tiennent lieu de frère et de soeur proprement dits. Mais, tout comme les cousins parallèles ou croisés, leurs enfants peuvent s’épouser. Ce qui n’est pas le cas des u tadâ-s, même s’ils se confondent avec les frères et soeurs de lait. Qu’il s’agisse des contractants ou de leurs descendants (enfants, petits enfants, arrière-petits-enfants...), le champ matrimonial est toujours fermé: point d’union conjugale entre un homme et une femme tant que leurs groupes entretiennent la relation de tadâ.
L’interdit matrimonial s’étend à plusieurs générations du fait que chacun des groupes u tadâ-s est pour l’autre un ensemble d’individus assimilables non seulement aux frères de lait mais encore aux personnages sacrés, c’est-à-dire dotés de pouvoir surnaturel et éternel ; la baraka, et dignes d’un respect absolu : nul ne doit faire, dire ou penser du mal envers ses allié(e)s. Cette exigence semble incompatible avec le mariage pour la simple raison que le ménage est en soi porteur d’antagonismes. Il n’est pas de couple où il n’arrive jamais aux conjoints de vivre des moments de tensions sourdes ou exprimées. Celui qui prend pour épouse sa "soeur" du pacte ne fait pas que violer l’interdit matrimonial ; il manque aussi à la règle prohibant la violence, puisque la vie conjugale engendre des querelles. Justement, c’est pour éviter toute action susceptible de nuire à la personne sacrée de l’ul tadâ et quelque fâcheux effet pouvant en découler que les parties alliées bannissent les unions de leurs relations.
Sont également bannis de leurs rapports les gestes ignobles, les paroles abjectes, les intentions malveillantes ; bref, les actes de violence physique et morale. Cela fait penser à la situation des frères de lait plutôt qu’à celle des frères biologiques. Contrairement aux premiers dont le lien repose sur le respect réciproque, les seconds ne sont pas à l’abri des démêlés. La question d’héritage en est le meilleur exemple. Par suite de l’utilité économique et de la valeur symbolique des biens successoraux (A. Gotman, 1988 : III), le partage du patrimoine entre les enfants d’un défunt s’accompagne de conflits latents ou manifestes. Les frères de lait ne risquent pas de connaître de tels conflits en ce sens que la fraternité ou la parenté créée par l’allaitement ne donne aucun droit de succession. Ils n’ont pas en commun ce qui unit ou oppose les frères germains, consanguins ou utérins ; à savoir la richesse matérielle et le patrimoine symbolique de la famille. Sans nul doute est-ce pour cela qu’ils sont un modèle d’entente et d’harmonie et que les u tadâ-s adoptent leur comportement : ni différend, ni dispute.
L’interdiction de la violence vient aussi de ce que l’u tadâ est un être imprégné de baraka pour son homologue. Les gens de la baraka sont respectés tant par ferveur religieuse que par peur de s’attirer les foudres de la malédiction divine. Ce qui n’est pas sans rapport avec la question du manquement à la prohibition du mariage et de la violence ; question dont l’examen ne peut qu’éclairer davantage le caractère sacré du lien interallié.
Ce manquement suppose non pas une sanction terrestre (amende, incarcération, exil...) mais une peine magico-religieuse ou un châtiment céleste. C’est-à-dire qu’il met en mouvement le côté maléfique du fluide divin que les "frères" du pacte portent en eux. Du fait de l’influence pernicieuse de ce fluide, le transgresseur des interdits peut contracter une maladie, avoir un accident, tomber dans la misère ou perdre la vie. La croyance en l’existence des puissances occultes et en leur intervention en tant que force répressive des actions répréhensibles des hommes est l’une des caractéristiques des sociétés dites traditionnelles (voir J. Servier, 1964 : 159-170). D’après la tradition orale, lesdits interdits sont rarement violés et ce, nous paraît-il, grâce à une foule de récits mythiques tissus autour du phénomène de la tadâ. Récits dont le plus célèbre est l’histoire de la chaîne se transformant en serpent.
Si vous interrogez un vieillard du Maroc central au sujet de la tadâ, il ne manquera pas de vous dire qu’un ou plusieurs individus de la tribu X se rendirent un jour à tel endroit. Sur leur chemin traversant le territoire de la tribu Y, ils aperçurent une chaîne près d’un ancien emplacement des tentes de transhumants. L’un d’eux voulut la prendre. Au moment où il se pencha pour la ramasser, elle se métamorphosa en vipère. Stupéfait, il s’éloigna. Le reptile redevint ce qu’il était auparavant. Quand il s’en approcha de nouveau, l’objet reprit la forme ophidienne. Réflexion faite, ils comprirent que la chaîne appartenait à leurs alliés (les gens de la tribu Y).
Et si vous lui demandez des précisions à propos de la pièce maîtresse du récit ; la chaîne, il vous répondra : celle qui unit les deux anneaux métalliques qu’on place au niveau inférieur des jambes antérieures des chevaux et des mulets pour les empêcher de s’éloigner ou de se sauver. Mais, il y a plus : la signification symbolique de l’objet concret et de sa métamorphose.
D’un bout à l’autre du monde et depuis l’antiquité au moins, la chaîne a toujours été le symbole des rapports "entre deux extrêmes ou deux êtres" (J. Chevalier & A. Geerbrant, 1985 : 200). A partir de là , il y a lieu de croire que la chaîne symbolise la tadâ qui est, en effet, un pacte bilatéral par excellence. La première attache deux anneaux, la seconde relie deux groupes. Ce pacte est sacré et dangereux. Ses principes et obligations doivent être respectés, autrement il devient semblable à la chaîne s’incarnant dans le corps ophidien. Entant qu’animal crachant la mort, le serpent représente la force invisible (le pouvoir de la tadâ) dans sa réaction maléfique. Le malheur ou le châtiment supposé en être l’émanation ressemble à la morsure du reptile venimeux ; il peut être fatal pour le violateur de l’interdiction du mariage et de la prohibition de la violence.
Tout compte fait, ce genre de récit, si burlesque puisse-t-il paraître, joue un rôle préventif. Il met en garde le pratiquant de la tadâ contre la violation des interdits qui lui sont prescrits. Bien entendu, l’efficacité du récit mythique, c’est-à-dire son impact sur l’auditeur, dépend du fait d’y croire. Le pratiquant en question y croit forcément parce qu’il naît et évolue dans un environnement qui baigne dans l’univers du sacré: culte des saints, vénération des créatures invisibles (génies), etc. Il croit à la légende dans la mesure où, justement, elle lui parle du phénomène mystérieux du sacré. Phénomène que l’homme conçoit comme une puissance périlleuse et redoutable (cf. R. Caillois, 1991 : 30-31). Objet de croyance populaire, le récit mythique fascine l’esprit, inspire l’effroi et, partant, avertit l’éventuel imprudent du danger qui le guette.
En dernière analyse, le récit mythique ne fait qu’amplifier l’idée que le pacte de tadâ est une relation sacrée et dangereuse. C’est apparemment en vertu de la crainte qu’il insufflait aux contractants que, jusqu’à la fin de la "pacification" (expression euphémique de conquête militaire) du Maroc en 1934, ce traité a joué un rôle capital dans l’équilibre des populations pastorales et guerrières. Deux conditions indispensables à la régulation intra- et intertribale ont été instaurées au moyen de la tadâ. La première concerne le règlement des conflits interindividuels et intergroupes de manière pacifique dans un milieu sensible et propice aux luttes intestines. La seconde intéresse la création de zones neutres ou de non-violence nécessaires à réaliser la production économique basée sur le déplacement des troupeaux.
Aujourd’hui, la tadâ ne fonctionne plus en tant que facteur régulateur de l’organisation tribale. Sa quasi-disparition s’explique, nous semble-t-il, par trois faits qui, à des degrés variables, ont affecté la société marocaine pendant les périodes coloniale et post-coloniale. Il s’agit du bouleversement du domaine politico-judiciaire (centralisation de l’appareil étatique, instauration des tribunaux et déstructuration de l’assemblée dirigeante au niveau local : jmaâ), de la transformation du secteur économique (substitution de l’agriculture à l’élevage transhumant) et de la mutation des représentations collectives (régression des croyances ancestrales et progression des idées nouvelles par la voie de l’école, des médias et d’autres canaux de communication).
Ce constat peut être formulé d’une façon théorique plus globale : l’apparition d’un pouvoir centralisé, structuré autour des cités urbaines a progressivement surclassé puis éliminé la valeur opératoire des règles adoptées par les sociétés nomades (ou semi-nomades) qui régissaient précédemment des régions tout entières. En d’autres termes, les populations nomades ne maîtrisent plus les "rapports de production" ; les règles qui les régissaient et qui participaient à cette maîtrise sont tombées en désuétude.
HAMMOU BELGHAZI
NOTES
- Version légèrement modifiée d’une communication présentée au cours des Cinquièmes Rencontres Sociologiques de Besançon (02/12/1995), dont les actes sont publiés chez L’Harmattan (collection Utinam) en 1996 sous le titre : Comment peut-on être socio-anthropologue ? Autour d’Henri Hatzfeld. La matière de cette communication est tirée d’une recherche doctorale en préparation sur "la pratique et la désuétude de tadâ chez les Zemmour". (Groupement berbère occupant la région sise entre les trois villes du Nord-Ouest : Meknès, Rabat et Oulmès, les Zemmour, il y a à peine trois quarts de siècle, pratiquaient le semi-nomadisme et vivaient encore sous la tente)
- Des individus qui, à l’occasion d’un festin, mangent à une même table ne seront pas attachés les uns aux autres par la nourriture. Ils seront liés à celui qui leur donne à manger et c’est à lui qu’ils vont rendre le don.
- Telle qu’elle vient d’être exposée, la pratique de l’allaitement était en application dans la péninsule arabe avant l’avènement de l’Islam. Voir Kh. Chatila (1933 : 203), E. Conte (1991 : 81) et H. Belghazi (1995 : 51).
- E. Durkheim a suffisamment discuté la question de la transmission ou de la propagation de ce fluide qu’il a désignée par l’expression : "la contagiosité du sacré" (1968 : 455-464).
- Pluriel de u tadâ (fém. ult tadâ) : individu ou groupe d’individus pratiquant la tadâ. Ce mot peut être un nom ou un adjectif.
- Il s’agit de la violence physique (coups, blessures...) et morale ou symbolique (offense, dérision...)
RÉFÉRENCES
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