Structure étymologique berbère. Examen d'un modèle
Ahmed SABIR
Faculté des lettres, Agadir, Maroc.
Faculté des lettres, Agadir, Maroc.
in la culture populaire, spécificité locale et dimension nationale, Actes de la 3e rencontre de l'Association de l'université d'été d'Agadir, Rabat, Editions Okad, 1990.
Nature du sujet
Il s'agit dans ce bref exposé des toutes premières réflexions au sujet d'une approche étymologique structurale du champ lexical du mot argan, approche qui prend donc son point de départ à partir de la racine -rg-. Le choix de ce prototype qu'est argan/targant pour illustrer ce modèle de structure étymologique dans le parler tachelhit n'est pas du au hasard : nul n'ignore l'importance de cet arbre et de ses fruits pour les habitants de cette partie sud ouest du Maroc non seulement du point de vue nutrition (l'huile d'argan) et combustion (bois et charbon d'argan), mais aussi en ce qui concerne certains rites et croyances. Tous ces facteurs ajoutés à la rareté de cet arbre (Souss et certains points de l'Amérique latine) donnent à la racine -rg- (de argan) une position sociolinguistique privilégiée dans le parler tachelhit. La lexie argan/targant a donné naissance à toute une galaxie de termes plus ou moins proches sémantiquement, mais qui gardent tous une intersection morphologique et sémique relativement constante avec cette lexie d'origine.
Durant la recherche qu'on peut mener à ce propos parmi plusieurs autres racines, celle-ci attire particulièrement l'attention par le nombre important et varie de lexies qui gravitent autour établissant un branchage morphologiquement et sémantiquement intéressant.
Suivant l'écart, non pas morphologique mais plutôt sémantique, on peut établir dans la structure étymologique de la racine -rg- trois degrés qu'on appellera respectivement A, B et C.
Structure de degré A
Elle réunit la partie de ce grand champ lexical qui rejoint de façon directe la lexie d'origine targant. On repérera un axe morphologique commun constitué, comme le veut cette science, par la racine -rg- qu'on reconnaîtra dans chacun des lexèmes, alors que l'intersection sémique sera constituée par le sème axial argan repérable également dans la définition de chacun d'entre eux. On trouvera donc dans cette structure de degré A les lexèmes suivants :
Structure de degré BDans un deuxième degré de cette structure étymologique on notera un changement du point de vue formel, puisqu'on passera de la forme radicale -rg- à la forme -rgh- sans perdre de vue le lien sémantique. Seulement ce changement morphologique de la racine s'accompagne d'une dérivation sémantique assez importante : ainsi passera-t-on du sème argan dans le champ lexical de la racine -rg- au sème « feu » ou sa variante « chaleur » dans le champ lexical dérive qui est de racine -rgh- :
Il s'agit dans ce bref exposé des toutes premières réflexions au sujet d'une approche étymologique structurale du champ lexical du mot argan, approche qui prend donc son point de départ à partir de la racine -rg-. Le choix de ce prototype qu'est argan/targant pour illustrer ce modèle de structure étymologique dans le parler tachelhit n'est pas du au hasard : nul n'ignore l'importance de cet arbre et de ses fruits pour les habitants de cette partie sud ouest du Maroc non seulement du point de vue nutrition (l'huile d'argan) et combustion (bois et charbon d'argan), mais aussi en ce qui concerne certains rites et croyances. Tous ces facteurs ajoutés à la rareté de cet arbre (Souss et certains points de l'Amérique latine) donnent à la racine -rg- (de argan) une position sociolinguistique privilégiée dans le parler tachelhit. La lexie argan/targant a donné naissance à toute une galaxie de termes plus ou moins proches sémantiquement, mais qui gardent tous une intersection morphologique et sémique relativement constante avec cette lexie d'origine.
Durant la recherche qu'on peut mener à ce propos parmi plusieurs autres racines, celle-ci attire particulièrement l'attention par le nombre important et varie de lexies qui gravitent autour établissant un branchage morphologiquement et sémantiquement intéressant.
Suivant l'écart, non pas morphologique mais plutôt sémantique, on peut établir dans la structure étymologique de la racine -rg- trois degrés qu'on appellera respectivement A, B et C.
Structure de degré A
Elle réunit la partie de ce grand champ lexical qui rejoint de façon directe la lexie d'origine targant. On repérera un axe morphologique commun constitué, comme le veut cette science, par la racine -rg- qu'on reconnaîtra dans chacun des lexèmes, alors que l'intersection sémique sera constituée par le sème axial argan repérable également dans la définition de chacun d'entre eux. On trouvera donc dans cette structure de degré A les lexèmes suivants :
- Targant. Substantif féminin par lequel on désigne cet arbre oléagineux caractéristique de la région du Souss et de certains points de l'Amérique latine. Son bois et charbon offrent de très grandes qualités de combustion. Son huile est très estimée.
- Argan. Substantif. Peut avoir deux signifiés différents : Huile d'argan / Bois ou charbon d'argan.
- Irg, pl. Irgn. Noix de fruit de targant (tafiyyct à aqqa) une fois qu'on en retire la graine (tizênin). Les irgn sont également utilisés comme combustibles, et vu cet usage (collectif), le singulier irg est très peu utilisé.
- Irga. Forme verbale qu'on repérera dans le parler tachelhit avec deux signifiés, un signifié propre qui est justement l'action de casser la noix (aqqa) d'argan pour en extraire la graine (ttizênin), et un signifié figuré dérivé du premier : battre. Exemple : irga addjar nnes (il a battu son voisin). L'intersection sémique ici est évidente (voir immerga, ismmerga)
- Assarweg. Pour un Achelhi qui connaît de près cette tradition de l'extraction de l'huile d'argan, une association d'idée est très vite faite : l'opération « argan » nécessite tout un arsenal indispensable à cet effet. Assarweg désigne la grosse pierre dure, lisse, souvent ovale et relativement plate sur laquelle les femmes cassent les noix d'argan (aqqayn) avec un autre galet appelé tawwnt ou taggunt.
- Asarag. On pourrait se demander quel est le rapport entre ce concept et l'arbre oléagineux en question, targant ou l'huile d'argan. Personnellement je pourrai avancer l'hypothèse suivante qui ne manque pas tout à fait de fondement : mise à part l'intersection morphologique commune -rg- avec les lexies précédentes et l'homophonie relative asarg / assarweg, on notera que asarag, qui est dans les maisons traditionnelles berbères une cour assez vaste, est l'endroit idéal où les femmes procèdent a l'opération argan, opération qui d'elle-même exige un endroit de cette ampleur. C'est là un premier signifié de asarag. Un autre non moins important pour mener à bien cette structure étymologique est le suivant : place publique où l'on pratique des festivités ; asarag est dans ce sens synonyme de asays. Dans le asarag ou asays on exécute amarg c'est-à-dire des chants souvent accompagnés de danses.
- Azrg : Substantif singulier qui n'est autre qu'une variante morphologique de assarweg à asserg à azrg. Moulin traditionnel en pierre à fonctionnement manuel pour moudre, dans ce cas, les graines d'argan (tizênin) pour séparer l'huile argan de la pâte appelée tazgmmut. Le même moulin peut servir également pour moudre blé, amendes, etc.
- Tirgit, pl. Tirgin. : Si bien le lien morphologique qui se concrétise dans la racine -rg- est évident, l'intersection sémique avec argan exige une approche sociolinguistique diachronique : on choisira deux temps. Si dans un temps actuel T2 on trouve le substantif tirgit avec le sens générique de « braise », on remarquera que ce signifié n'est autre que le résultat d'une dérivation sémantique d'un premier sens plus spécifique qui revient à un temps T1 historique cette fois, à savoir « braises à base du bois d'argan ou à base de irgn ».
- Iriggw : Substantif masculin. De même que dans le cas du verbe irga, on distinguera un signifié spécifique A (vapeur très chaude qui se dégage de l'ébullition de l'eau) et un signifié B plus générique (chaleur qui se dégage de toute combustion)…
Structure de degré BDans un deuxième degré de cette structure étymologique on notera un changement du point de vue formel, puisqu'on passera de la forme radicale -rg- à la forme -rgh- sans perdre de vue le lien sémantique. Seulement ce changement morphologique de la racine s'accompagne d'une dérivation sémantique assez importante : ainsi passera-t-on du sème argan dans le champ lexical de la racine -rg- au sème « feu » ou sa variante « chaleur » dans le champ lexical dérive qui est de racine -rgh- :
Dérivation
-rg-
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…
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S1: argan
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↓
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↓
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-rgh-
|
…
|
S2: chaleur (feu)
|
Cependant, et malgré le passage que nous effectuons du degré morphologique et sémantique A (-rg-) au degré morphologique et sémantique B (-rgh-), le trait d'union sémantique qui unit les deux est celui qui joint en quelque sorte la cause à l'effet, ou mieux vaut-il encore parler du lien de conséquence puisque le sème S2 (chaleur / feu) est la conséquence de la combustion de argan ou des irgn, c'est-à-dire Sl.
Ainsi, pour reprendre le fil conducteur de cette structure étymologique, on repartira du lexème iriggw dont on retiendra le sème principal chaleur également présent dans tirgit. Ce sème se substituera en tant qu'axe du degré B au sème de base argan. On reconnaîtra dans ce degré au moins trois lexèmes dont deux seulement sont d'usage dans le parler tachelhit alors que nous avons repéré un troisième à Toledo dans la Péninsule ibérique :
Structure de degré C
Dans ce sous-champs lexical, on assistera à un nouveau glissement sémantique alors que la racine continue à être la même que dans le degré B, c'est-à-dire -rgh-. Pour se rendre compte de ce glissement ou dérivation sémantique, il va falloir examiner le problème linguistique à partir d'une donnée qui relève de la science physique. Comme on sait, cette science soutient qu'il y a un rapport étroit, constant et bien déterminé entre les différentes couleurs et la réflexion des rayons lumineux et de chaleur. On retiendra tout particulièrement que la couleur jaune (awragh) reflète les rayons lumineux et calorifiques mieux que d'autres couleurs (la couleur noire étant celle qui absorbe le plus ces rayons. Penser aux cellules solaires). D'ailleurs la couleur jaune n'est-elle pas celle du soleil tel que nous le voyons ?
Dans un premier temps de cette structure, la couleur jaune (awragh) va être le noyau de ce paradigme :
Conclusion
La langue est un dépôt de données socioculturelles. C'est là qu'il faut chercher et trouver la réponse à plusieurs pratiques sociales souvent énigmatiques de nos jours. Cet exposé prétend aller plus loin que la résolution de la problématique propre à une structure étymologique – celle de racine -rg- dans ce cas – pour proposer un modèle d'analyse adaptable à bien d'autres structures.
La détermination d'un nombre important de ces structures étymologiques est susceptible de faciliter la très difficile tâche de l'élaboration d'une première ébauche d'un dictionnaire étymologique de tamazight dans le sens le plus ample du terme.
Dans ce sens le concept targant ne désigne pas seulement un arbre quelconque, mais sert aussi de point de départ pour la résolution de toute une série d'actes et de comportements socioculturels.
Une initiative de ce genre qui prétend découvrir un terrain inconnu jusqu'ici est pleine de risques et exige un maximum de prudence. Mais c'est un risque à prendre afin de préparer un terrain qui servirait de base pour cette recherche.
Ainsi, pour reprendre le fil conducteur de cette structure étymologique, on repartira du lexème iriggw dont on retiendra le sème principal chaleur également présent dans tirgit. Ce sème se substituera en tant qu'axe du degré B au sème de base argan. On reconnaîtra dans ce degré au moins trois lexèmes dont deux seulement sont d'usage dans le parler tachelhit alors que nous avons repéré un troisième à Toledo dans la Péninsule ibérique :
- Irgha : En présupposant une fois de plus que dans le temps ce verbe avait un usage plus spécialisé se trouvant, étroitement lié du point de vue sémantique à argan (à savoir être allumé, se référant au bois, au charbon ou à irgn), on trouve aujourd'hui ce lexème plus généralisé comme on le voit dans les exemples suivants :Tergha Làfit (le feu est allumé) ; irgha lhâl (il fait chaud)… Mieux encore, on le voit s'adapter aux nouvelles exigences linguistiques, s'actualisant avec le temps comme dans les exemples : trgha tifawt (la lumière est allumée), irgha rradyu (la radio est allumée)… II est également intéressant de voir de près le substantif correspondant â ce verbe, à savoir :
- Tirgi, ce substantif féminin qu'on trouve également sous forme tirqqa peut avoir, suivant le contexte de production le sens de :
a) chaleur.
b) chauffage : yumêz tirqqa.
c) fièvre : tella gis tirghi. - Si toutes les lexies ici énumérées figurent dans le répertoire du parlant achelhi, il en est au moins une que nous avons repérée à Toledo (Espagne) au mois passé, plus précisément au palais de la municipalité de cette ville. Il s'agit du terme harraj dans lequel on voit une déformation de arragh. Ce nom est exclusif d'un objet unique qui ressemble à un canoun grand et bas qui se trouve dans le salon principal de ce plais et qui date du temps de l'occupation musulmane, et qui, d'après les documents de ce palais servait de chauffage central à base de la combustion de noix d'olives.
Structure de degré C
Dans ce sous-champs lexical, on assistera à un nouveau glissement sémantique alors que la racine continue à être la même que dans le degré B, c'est-à-dire -rgh-. Pour se rendre compte de ce glissement ou dérivation sémantique, il va falloir examiner le problème linguistique à partir d'une donnée qui relève de la science physique. Comme on sait, cette science soutient qu'il y a un rapport étroit, constant et bien déterminé entre les différentes couleurs et la réflexion des rayons lumineux et de chaleur. On retiendra tout particulièrement que la couleur jaune (awragh) reflète les rayons lumineux et calorifiques mieux que d'autres couleurs (la couleur noire étant celle qui absorbe le plus ces rayons. Penser aux cellules solaires). D'ailleurs la couleur jaune n'est-elle pas celle du soleil tel que nous le voyons ?
Dans un premier temps de cette structure, la couleur jaune (awragh) va être le noyau de ce paradigme :
- Awragh. Adj. désigne la couleur jaune ; et par extension ce qui est jaune.
- Iwrragh. Verbe qui veut dire être jaune. Wrraghent tmzîn (le blé est jaune).
- Sawragh. Subst. maladie connue sous le nom de la jaunisse. Exemple : Yumêzt sawragh.
Si dans ces trois lexèmes (awragh, iwrragh, sawragh) le signifié se limite à la même notion de couleur jaune, on repérera au moins trois autres lexèmes où cette notion de couleur sert de point d'appui pour une expressivité plus transcendante puisqu'à la notion de couleur s'ajoutera une autre notion cette fois de la lumière ou de chaleur, c'est-à-dire awragh + irgha : - Ayyur, amayyur. tamayyurt, trois substantifs synonymes pour designer la lune et que, compte tenu de cette structure étymologique, on considérera respectivement comme variantes ou évolution de ayyur(gh), amayyur(gh) et tamayyur(gh)t. On précisera cependant que ayyur peut aussi signifier « mois lunaire ».
- Ce lexème triptyque nous mène tout droit sur le substantif urgh qui signifie l'or. Dans ce concept urgh, on reconnaîtra très facilement le sème « couleur jaune » qui, par extension, peut connoter « chaleur ».
- Le lexème verbal ar ismirqqi, qu'on trouve aussi sous la forme ar ismrgha et qui signifie « briller » ou « luire » est susceptible de dégager tout doute à ce propos et d'appuyer le point de vue que nous soutenons. Ar ismrgha, ar ismirqqi sont deux variantes lexématiques synonymes où l'on retrouve le mieux la notion physique de la lumière à laquelle nous faisions allusion plus haut. Cette notion physique de la lumière est encore plus accessible quand on rapproche ces deux lexèmes, en l'occurrence ar ismirqqi, ar ismrgha, d'un troisième verbe synonyme : arisufu. Une segmentation morphologique de ce verbe nous permettra de reconnaître la racine -fw- d'un autre paradigme dont on peut citer : tifawt, asafu, iffu, isfaw, etc.
- Amaragh est un toponyme familier aux agriculteurs d'Inezgane. II désigne une grande extension cultivée, sablonneuse et non irriguée du côté de l'oued Souss. Pour y actualiser encore une fois ce sème de chaleur, il suffit de citer deux autres noms donnés à ces terres, à savoir taghart u wasif, amaragh u wasif.
Conclusion
La langue est un dépôt de données socioculturelles. C'est là qu'il faut chercher et trouver la réponse à plusieurs pratiques sociales souvent énigmatiques de nos jours. Cet exposé prétend aller plus loin que la résolution de la problématique propre à une structure étymologique – celle de racine -rg- dans ce cas – pour proposer un modèle d'analyse adaptable à bien d'autres structures.
La détermination d'un nombre important de ces structures étymologiques est susceptible de faciliter la très difficile tâche de l'élaboration d'une première ébauche d'un dictionnaire étymologique de tamazight dans le sens le plus ample du terme.
Dans ce sens le concept targant ne désigne pas seulement un arbre quelconque, mais sert aussi de point de départ pour la résolution de toute une série d'actes et de comportements socioculturels.
Une initiative de ce genre qui prétend découvrir un terrain inconnu jusqu'ici est pleine de risques et exige un maximum de prudence. Mais c'est un risque à prendre afin de préparer un terrain qui servirait de base pour cette recherche.