ARGANIER
Mohammed Khaïr-Eddine
Arbre magique et vénérable, tes racines forent le roc et scellent avec la terre un pacte irrévocable ;
tu es le végétal le plus résistant et sans doute le plus beau. On ne saura jamais ton âge réel ni si tu es issu d’une comète ancienne ; tu recouvres les versants montagneux de ta splendeur incomparable – tu es puissant et capable de surmonter les assauts des chèvres et des criquets qui te dépouillent de tes feuilles pareilles à des paillettes d’émeraude quand le soleil insuffle à ton murmure inaudible l’onde irisée de l’arc-en-ciel : un langage mémorable sourd de tes fibres et de tes branches où le rat-palmiste cueille des noix d’ambre qu’il enfouira pour que tu te perpétues à l’infini, toi qui défies le temps, les intempéries, les canicules et la main de l’homme. Maître incontesté du Sud, on t’appelle Arganier mais nul ne sait ton véritable nom ; peut-être l’oued asséché le sait-il, qui dit au laurier rosé la gravité de ta sombre parure ; la cigale et la tourterelle, indifférentes aux vicissitudes terrestres, chantent ta beauté car tu les soustrais au danger en ta feuillée impénétrable ; |
Cet hôte qui gîte en tes racines externes, c’est le naja solitaire dont le sifflement aigu module la clarté fugace des songes diurnes.
Été comme hiver, ton ombre s’allonge jusqu’au piémont comme pour instruire le mouflon de l’imminence d’une mort brutale : – le chasseur qui t’avait déraciné en masse pour bâtir un palais de rêve où tu avais vécu depuis Noé est tombé du mont frappé d’une vengeance atroce ; – il est écrit que quinconque t’égratigne encourt les foudres telluriques ; mais tu n’es pas toi-même ce dieu vindicatif qui broie les armées dans un éclair intense ; l’espoir pur des vastitudes inconnues t’anime et chaque lettrine du ciel est une étoile brillante qui te conte l’histoire du Chaos crucial. les Anciens te disaient Génie tutélaire, protecteur des hommes et des bêtes ; |
ils t’aimaient et te vénéraient, ceux-là qui se nourrissaient de cette huile rouge et parfumée que ton amande amère sécrète lorsque l’été culmine au zénith ;
aucune tempête ni chergui ne peuvent démanteler ta couronne, arbre plus dur que le granit et l’agate ;
jeune ou vieux, tordu ou élancé, tu illumines la rocaille d’une aura que seuls distinguent les anachorètes ;
c’est ton essence immatérielle qui frémit au fond du puits et dans la gorge du troglodyte ;
ton idiome inscrit dans les grimoires sacrés qui pare le scarabée bleu de l’éclat des gemmes légendaires ;
vieil arganier, je te salue du tréfonds d’un monde qui ne connaît de toi que les cosmétiques extraits de ton amande ovale.
Mohammed Khaïr-Eddine, in Tafraout, éléments d'un site, catalogue publié à l'occasion du colloque sur Mohammed Khaïr-Eddine, "Histoire, mémoire, fiction", faculté des lettres et des sciences humaines, université Ibn Zohr, Agadir, décembre 2004. Photographies de Saïd Aoubraïm, avant-propos de Hassan Wahbi.
aucune tempête ni chergui ne peuvent démanteler ta couronne, arbre plus dur que le granit et l’agate ;
jeune ou vieux, tordu ou élancé, tu illumines la rocaille d’une aura que seuls distinguent les anachorètes ;
c’est ton essence immatérielle qui frémit au fond du puits et dans la gorge du troglodyte ;
ton idiome inscrit dans les grimoires sacrés qui pare le scarabée bleu de l’éclat des gemmes légendaires ;
vieil arganier, je te salue du tréfonds d’un monde qui ne connaît de toi que les cosmétiques extraits de ton amande ovale.
Mohammed Khaïr-Eddine, in Tafraout, éléments d'un site, catalogue publié à l'occasion du colloque sur Mohammed Khaïr-Eddine, "Histoire, mémoire, fiction", faculté des lettres et des sciences humaines, université Ibn Zohr, Agadir, décembre 2004. Photographies de Saïd Aoubraïm, avant-propos de Hassan Wahbi.