Mohammed Khaïr-Eddine ou Agoun'chich l'errant
Mohammed Mazouz. Parimazigh n°1
«Derrière lui, la ville, le pays. Il les a quittés un matin le soleil ne s 'était pas encore pointé... La mort qui venait froisser ses draps alors qu'il était bébé, le faire rire ou pleurer..»
(Le déterreur, p. 126)
(Le déterreur, p. 126)
Il disait : «Je désire trouver une phrase qui résume tout.» En deux mots on dira Khaïr-Eddine. Écrivain de refus, il l'a maintes fois prouvé dans ses écrits romans-poèmes. De Agadir, en passant par Corps négatif suivi de histoire d'un Bon Dieu, Soleil Arachide, Moi l'aigre, Le Déterreur, Ce Maroc !, Une odeur de mantèque, Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, la Résurrection des fleurs sauvages, Légende et vie d'Agoun'chich et enfin Mémorial, le même cri résonne à chaque fois, un cri qui résume le 'tout' «la beauté qu'il chantait, la révolte qui l'habitait et 1'insoumission dont il rêvait de vêtir ses frères en désespoir.» (revue Tifinagh n°9)
Ces œuvres sont fortement marquées par le sud marocain dit «sudique» :
Sudique que je crée par la pluie et les éboulis que je transforme en lait nuptial pour des noces de torrents(..) Sudique percée d'oubli soudain par des troupes ferventes de poèmes qui font éclater chaque pierre sous mes pieds quand mon corps bée entre des mains bleues entre les flûtes Sudique sur un pic miraculeux couleuvre jeune récitant des piétinements sans histoire(..) et ces tristes airs d'abandon et de haine ces crieurs ces goumiers qui traînent leur vie mortelle ces Phéniciens ces nus voraces Sudique de rutilance et de scorpions sur tes seins enroulés fermes et ce maudit esclave qui crache dans ton ombre. (Ce Maroc !, Le Seuil, 1975, p. 29-31) |
Ce Maroc l'obsédait, surtout pendant les années d'exil en France. Sa patrie, celle qui lui a tenu compagnie, était surtout la poésie, territoire qu'il arpentait sans se soucier des bienséances de la vie sociale. (In Le Monde des livres du 1er décembre 1995)
«Dans Agadir, disait-il, je remet tout en question : la politique, la famille, les ancêtres. Je crois qu'il faut faire tomber les vieilles statuts, tout changer par l'éducation du peuple (...) Je n'hésite pas à faire le procès de mon propre sang car il n'arrive pas à se dépêtrer de lui-même, à se transformer» (Ce Maroc !, op.cit. p.81) N'écrit-il pas dans Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants : «Je renierai les Berbères qui auront pour du fric ou des espoirs inutiles trahi la fonction de ce monde.» Dans Moi l'Aigre, il rajoute : «Mais quelle est la goute de sperme qui a fait de moi un Berbère... [mais] les Berbères se sentent très proches des fous et des génies, ils ont la vérité fixée sur le front et ils corrigent la vie selon leur goût.» (p. 35)
Son sang est sa blessure, ce n'est pas sans raison que je m'exile ici. D'abord je voudrais faire un chemin à suivre. Et en même temps attirer l'attention du voleur et du volé, de crocodile et de la victime, des nouveaux sorciers de l'Afrique et des hypnotisés... (revue Souffle n°1, premier trimestre 1966, p. 7)
ma plaie
où seule l'abeille trouve des fleurs neuves
porte-moi loin de cet oubli
battant
et rampe
pays pays je plie bagages
ceux qui ajoutent du noir
à leur cellule
me voient partir
pays pays où seule la terre
se souvient
et hurle
quelle terreur couve
sous ta colère.
(Ce Maroc !, p. 21-22)
Son exil, il en parle à travers son vécu et à travers le quotidien. Agoun'chich est parti «... ce qui importe, ce qui prime tout le reste y compris ton existence et la mienne, c'est d'abord qu'on passe ici où là, de temps en temps, avec soi-même et avec les autres (...) cette harmonie fugitive qui vous condamne à vivre ou à périr (...) Cependant je marche ? je vais, je cours, je cherche sans relâche quelque chose qui me fasse désirer la vie» Agoun'chich (p. 68)
«Et j'erre
avec ma bombe sous l'aisselle,
banlieue foutue... oui j'erre
et je suis la nuit bleue
travaillé par le feu des enfers
et la braise pneumatique qui sangle la gravité des nuits...
mais cela ne s'écrit pas ! j'étais là fusillable,
Solo, toujours solo, chantant
en bus, métro et dans la rue or on me tire dessus !
Je sors donc mon couteau
et je me tue moi aussi
Épreuve des banlieues,
hypothétique cité
où personne ne vit
sa vie!
Suis-je orphelin
de ma terre oubliée
et dont pas même l'image
ne vient
effleurer mon affect ?»
(Extrait du Quasar II, Tifinagh n°8, déc. 1995)
Cette obsession du sud, qui est à l’œuvre dans ses textes, procède à la fois d'un vécu au contact du terroir et d'un travail sur le langage. «Quand vous débarquez dans un pays que vous n'avez jamais vu ou que vous avez déserté depuis longtemps, ce qui vous frappe avant tout, c'est la langue que parlent les gens du cru». (Agoun'chich, p. 9) «Le Berbère oublia son écriture et une grande partie de son vocabulaire, car le premier soin du colonisateur fut à, tous les coups de le dépersonnaliser, le déposséder de ses racines, autrement dit, il tenta toujours de transformer radicalement le Berbère en un homme d'une race qu'il n'était pas, comme si l'on pouvait changer un pygargue en serpent de mer.» (Agoun'chich, p. 129)
L'errance s'inscrit dans un projet de réactivation d'un bonheur lié à un espace, dont les signes authentiques ont été effacés sous l'influence de diverses invasions. Le rôle de cette errance sert à dénoncer (la modernité sauvage), les changements que l'évolution mouvementée de l'histoire a fait subir à cet espace si singulier par sa nature et sa culture qui est le sud. (A. Tenkoul, Littérature marocaine d'écriture française, Casablanca, Éd Afrique Orient, 1985.)
L'Agoun'chich, ses sentiments restent partagés. Il se débattait avec lui-même entre deux rives... Il a vécu loin des projecteurs, «sa mort» - (pardon ! la mort c'est l'oubli) - va déterrer ce déterreur pour être lu et relu.
«Dans Agadir, disait-il, je remet tout en question : la politique, la famille, les ancêtres. Je crois qu'il faut faire tomber les vieilles statuts, tout changer par l'éducation du peuple (...) Je n'hésite pas à faire le procès de mon propre sang car il n'arrive pas à se dépêtrer de lui-même, à se transformer» (Ce Maroc !, op.cit. p.81) N'écrit-il pas dans Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants : «Je renierai les Berbères qui auront pour du fric ou des espoirs inutiles trahi la fonction de ce monde.» Dans Moi l'Aigre, il rajoute : «Mais quelle est la goute de sperme qui a fait de moi un Berbère... [mais] les Berbères se sentent très proches des fous et des génies, ils ont la vérité fixée sur le front et ils corrigent la vie selon leur goût.» (p. 35)
Son sang est sa blessure, ce n'est pas sans raison que je m'exile ici. D'abord je voudrais faire un chemin à suivre. Et en même temps attirer l'attention du voleur et du volé, de crocodile et de la victime, des nouveaux sorciers de l'Afrique et des hypnotisés... (revue Souffle n°1, premier trimestre 1966, p. 7)
ma plaie
où seule l'abeille trouve des fleurs neuves
porte-moi loin de cet oubli
battant
et rampe
pays pays je plie bagages
ceux qui ajoutent du noir
à leur cellule
me voient partir
pays pays où seule la terre
se souvient
et hurle
quelle terreur couve
sous ta colère.
(Ce Maroc !, p. 21-22)
Son exil, il en parle à travers son vécu et à travers le quotidien. Agoun'chich est parti «... ce qui importe, ce qui prime tout le reste y compris ton existence et la mienne, c'est d'abord qu'on passe ici où là, de temps en temps, avec soi-même et avec les autres (...) cette harmonie fugitive qui vous condamne à vivre ou à périr (...) Cependant je marche ? je vais, je cours, je cherche sans relâche quelque chose qui me fasse désirer la vie» Agoun'chich (p. 68)
«Et j'erre
avec ma bombe sous l'aisselle,
banlieue foutue... oui j'erre
et je suis la nuit bleue
travaillé par le feu des enfers
et la braise pneumatique qui sangle la gravité des nuits...
mais cela ne s'écrit pas ! j'étais là fusillable,
Solo, toujours solo, chantant
en bus, métro et dans la rue or on me tire dessus !
Je sors donc mon couteau
et je me tue moi aussi
Épreuve des banlieues,
hypothétique cité
où personne ne vit
sa vie!
Suis-je orphelin
de ma terre oubliée
et dont pas même l'image
ne vient
effleurer mon affect ?»
(Extrait du Quasar II, Tifinagh n°8, déc. 1995)
Cette obsession du sud, qui est à l’œuvre dans ses textes, procède à la fois d'un vécu au contact du terroir et d'un travail sur le langage. «Quand vous débarquez dans un pays que vous n'avez jamais vu ou que vous avez déserté depuis longtemps, ce qui vous frappe avant tout, c'est la langue que parlent les gens du cru». (Agoun'chich, p. 9) «Le Berbère oublia son écriture et une grande partie de son vocabulaire, car le premier soin du colonisateur fut à, tous les coups de le dépersonnaliser, le déposséder de ses racines, autrement dit, il tenta toujours de transformer radicalement le Berbère en un homme d'une race qu'il n'était pas, comme si l'on pouvait changer un pygargue en serpent de mer.» (Agoun'chich, p. 129)
L'errance s'inscrit dans un projet de réactivation d'un bonheur lié à un espace, dont les signes authentiques ont été effacés sous l'influence de diverses invasions. Le rôle de cette errance sert à dénoncer (la modernité sauvage), les changements que l'évolution mouvementée de l'histoire a fait subir à cet espace si singulier par sa nature et sa culture qui est le sud. (A. Tenkoul, Littérature marocaine d'écriture française, Casablanca, Éd Afrique Orient, 1985.)
L'Agoun'chich, ses sentiments restent partagés. Il se débattait avec lui-même entre deux rives... Il a vécu loin des projecteurs, «sa mort» - (pardon ! la mort c'est l'oubli) - va déterrer ce déterreur pour être lu et relu.
BIBLIOGRAPHIE
- Agadir, 1967
- Corps négatif, suivi d'Histoire d'un bon Dieu, 1968
- Soleil arachide, 1969
- Moi, l'aigre, 1970
- Le Déterreur, 1973
- Ce Maroc ! 1975
- Une Odeur de Mantèque, 1967
- Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, 1978
- Résurrection des fleurs sauvages, 1981
- Légende et vie d'Agoun'chich, 1984