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Le Dahir berbère, mythe ou réalité

Mohamed Boudhan
"Rien n'est plus révolutionnaire que la vérité"
Lénine

Le Dahir Berbère, l’épouvantail

On a beaucoup écrit sur le fameux ‘Dahir berbère’ depuis sa promulgation il y a le 16 mai 1930. On répétait depuis et sans relâche, qu'il comportait des dispositions racistes, visant à la division ethnique des Marocains entre ‘Berbère’ et ‘Arabes’ en vue de rompre leur unité et les affaiblir, afin de les soumettre et vaincre facilement. On a dit et écrit que son objectif était aussi de combattre l'Islam et la langue arabe en instituant des lois coutumières antéislamiques et en décrétant l'enseignement de Tamazight aux ‘Berbères’ pour les rallier et les soulever contre l'Islam, contre les Arabes et contre la langue arabe !

C'est le thème du ‘Latif’: ‘Bien des destins ne nous séparent pas d'avec nos frères les Berbères’. Voilà en bref, le ‘Dahir berbère’ tel que nous le décrit une abondante littérature. Il va de soi que tout Marocain, quelles que soient ses convictions idéologiques et politiques, ne peut que qualifier ce ‘Dahir’ de monstrueux, ne peut que l'abhorrer de toute son âme et ne peut que maudire, mille fois, les autorités coloniales qui l'ont créé.

Aujourd'hui, alors que la question amazighe bat son plein, beaucoup d'amazighophobes brandissent le ‘Dahir berbère’ comme un épouvantail effrayant et dissuasif, chaque fois qu'il est question de l'enseignement de tamazight, criant qu'il s'agit du maudit Dahir, avec tout ce que cela implique de menaces pour l'unité nationale, de dérive séparatiste et de manipulation étrangère et impérialiste.

Bien sûr, nous, amazighophiles, nous ne doutons pas de la ‘sincérité’ des motifs nationalistes de ces détracteurs de l'amazighité et qui expliqueraient leur phobie de l'enseignement de Tamazight. Car, nous croyons toujours, crédulement et naïvement, à force de nous le répéter et de nous le redire continuellement, que le ‘Dahir berbère’ est bel et bien ce que nous en racontent ceux qui l'utilisent pour intimider les amazighophiles et faire chanter Tamazight, en rappelant inlassablement ses ‘liens’ avec le dit Dahir.

La défense des Amazighs se limite le plus souvent, à alléguer que ce ne sont pas eux qui ont édicté le maudit Dahir, qu'ils n'y étaient pour rien et qu'il est injuste de les culpabiliser et leur en endosser une part de responsabilité. Cette réaction inoffensive est une reconnaissance de la ‘véracité’ de tout ce que l'on a écrit sur le dahir et ses "rapports" avec Tamazight et les Amazighs.

Que dit vraiment ce décret ?

Au cours des deux dernières années, un grand nombre d'articles hostiles à Tamazight ont été publiés dans la presse ‘orientalitaire’ marocaine. Je suis devenu curieux et peut-être incrédule cette fois : je me demandais alors pourquoi aucun de nos ‘doctes pontifes’ qui expliquent sempiternellement les revendications identitaires amazighes comme produit du "Dahir berbère", n'avaient-ils jamais cité aucun article de ce dahir, d'où l'on peut conclure à une ségrégation linguistique, religieuse et raciale qui seraient dangereuses pour l'unité des Marocains ? On mentionne à outrance le "Dahir berbère" sans jamais en citer un seul article comme preuve de ce que l'on avance. Pourquoi ?

J'ai alors décidé de me procurer le texte intégral du "Dahir berbère". J'ai réussi à avoir le texte français et sa traduction arabe, publiée dans le Journal Officiel numéro 919. A la lecture du texte du "Dahir berbère", je suis resté ébahi. Je ne croyais pas ce que je lisais : le texte du 16 mai 1930 qui était devant moi et qui était censé être le ‘Dahir berbère’ n'avait rien à voir avec ce dernier, dont on nous parle depuis cette date. Ce sont deux dahirs complètement différents, sans aucun lien entre eux, si ce n'est la date de leur ‘promulgation’.

Différences entre les "deux" dahirs.

J'ai lu et relu les deux textes français et arabe cherchant à trouver l'expression ‘dahir berbère" qui trahit bien l'intention des autorités coloniales, d'instituer une ségrégation raciale au Maroc. Mais cette fameuse locution ‘dahir berbère’, supposée être le titre du texte et résumant par là son contenu, n'y est mentionnée ni dans le préambule, ni dans les huit articles qui composent le texte. Il y a seulement le mot ‘Dahir’, comme c'est le cas de dizaines de textes législatifs que les autorités coloniales avaient édictés sous le même nom de ‘Dahir’.

La première conclusion qui s'impose donc est que la dénomination ‘Dahir berbère’ est une création non pas coloniale et française, mais nationaliste, inventée par le mouvement nationaliste marocain. Ce qui est déjà très significatif en ce qui concerne le rôle du mouvement nationaliste dans ce que nous connaissons aujourd'hui comme ‘Dahir berbère’.

Voyons maintenant quelles sont les dispositions ou les articles qui établissent la ségrégation entre Marocains "amazighs" et marocains "arabes". Cette dernière constitue, comme on nous l'a toujours appris et répété, l'essentiel du contenu du "Dahir berbère". Et c'est cette ségrégation que conjure le psaume du "Latif".

Mais, quand on lit le texte en son entier, on ne trouve aucune mention explicite ou implicite qui indique cette ségrégation. On lit dans le préambule du texte ‘les tribus de coutume berbère’. L'article premier parle des ‘tribus de notre empire reconnues comme étant de coutumes berbères’. Ce sont les seuls "indices" sur lesquels se basent ceux qui interprètent ce ‘Dahir’ comme une loi visant à séparer les ‘Berbères’ des ‘Arabes’. Ce point appelle quelques éclaircissements :

Le ‘Dahir’ en question ne pose pas comme condition une quelconque appartenance "ethnique" ou "berbère" - donc la condition de "berbérité" - pour son application. Le critère retenu est donc non pas ethnique, mais social, consistant en la présence et la pratique des coutumes berbères. Ces dernières, même si elles sont d'origine berbère, ne sont plus une pratique exclusivement et spécifiquement berbère : beaucoup de tribus arabes, et même les juifs marocains, pratiquent le droit coutumier berbère.

Le Dahir du 16/05/1930 concerne donc toutes les tribus où l'usage du droit coutumier berbère est courant, indépendamment de leur origine ethnique et raciale. Il n'a rien à voir donc avec une soi-disant division ethnique des Marocains entre ‘Berbères’ et ‘Arabes’, comme l'a interprété tendancieusement le mouvement nationaliste. Il fait partie, plutôt, de la division judiciaire du royaume en ‘tribunaux modernes’, ‘tribunaux religieux’ et ‘tribunaux coutumiers’.

On a écrit et fait penser que le Dahir du 16/05/1930 - pour que la France réussisse à séparer les ‘Berbères’ d'avec les ‘Arabes’ - a institué des lois païennes et antéislamiques, dans le but de détourner les ‘Berbères’ de l'islam pour entamer ensuite leur christianisation. Cette question soulève les observations suivantes :

  1. Les ‘coutumes berbères’ dont parle le Dahir du 16/05/1930 n'étaient pas étrangères aux Marocains et à leur religion. Elles n'étaient pas élaborées et imposées par la France coloniale. Elles existaient toujours avant le protectorat, pratiquées depuis longtemps pour trancher sur les litiges et préserver l'équilibre et l'unité de la tribu et de la société. Et jamais un musulman n'a fait remarquer que les Berbères, ou les membres d'autres tribus arabes de mêmes coutumes, n'étaient pas musulmans, ou moins musulmans que les autres. Ce qui prouve que ces coutumes n'étaient pas contraires à l'islam.
  2. Le dahir précise que son application concerne ‘Les tribus de coutume berbère non pourvues de Mahkama pour l'application du chariâa’. Il n'a pas donc supprimé les tribunaux islamiques pour leur substituer les tribunaux coutumiers. Bien sûr, l'absence de tribunaux islamiques, n'existaient d'ailleurs que dans les grands centres urbains, ne signifie nullement celle de la loi islamique, puisque celle-ci était intégrée au droit coutumier lui-même.
  3. La plus grande partie du droit coutumier berbère porte sur des questions que la chariâa n'a pas traitées et auxquelles elle n’a pas, donc, prescrit de règles et de dispositions. Citons, par exemple, les coutumes réglementant la distribution des eaux des rivières entre les familles membres de la tribu, pour l'irrigation des terres. Elles précisent la nature et la valeur des indemnités en cas de meurtres ou de coups et blessures.
  4. Si les "nationalistes" marocains ont rejeté violemment le Dahir du 16/05/1930 par dévouement à l'Islam, pourquoi n'ont ils pas réagi de la même façon à l'arsenal de lois contraires à la Chariâa islamique et que la France a introduites au Maroc depuis 1913 ? En fait, elles sont encore en vigueur de nos jours: lois relevant du droit civil, du droit immobilier et surtout du code pénal.

Les "nationalistes" ont répandu la fausse idée que le Dahir cherchait à privilégier et rehausser le statut des "Berbères" pour gagner leur faveur et les rallier contre les "Arabes". Mais quand on lit le Dahir, on ne trouve aucune disposition qui va dans ce sens. C'est plutôt le contraire qui est exact ; on peut considérer le Dahir du 16/5/1930 comme un châtiment dirigé contre les "Berbères", qui vise à les maintenir dans le sous-développement rural et les isoler de la civilisation urbaine, loin de toute modernité. Pourquoi ? Diriez-vous. Et bien, cela à cause de leur résistance et leur refus de collaborer avec la puissance coloniale.

Enfin, chaque fois qu'on parle de l'enseignement de Tamazight, on nous rappelle le ‘Dahir berbère’, nous faisant croire par là que c'est ce dernier qui a décrété l'enseignement de Tamazight pendant la période coloniale. C'est ce que j'ai toujours cru avant de lire le texte du Dahir 16/05/1930.

Ce dernier n'a rien à voir avec la langue amazighe et son enseignement. Il n’y a fait aucune allusion. Pourquoi, donc, les amazighophobes associent-ils toujours la question de l'enseignement de Tamazight au ‘Dahir berbère’ ? Est-il nécessaire de mentir aux amazighophiles pour les faire chanter ?

Une création des nationalistes

Cette comparaison entre le Dahir du 16/5/1930 et ce qu'on a fait croire être le ‘Dahir berbère’ fait ressortir ‘deux’ dahirs complètement différents : le dahir colonialiste du 16/5/1930 mais non berbère, et le ‘Dahir berbère’, mais nationaliste. Ce dernier est une pure invention du Mouvement nationaliste. Les nationalistes ont créé le ‘Dahir berbère’ pour créer leur propre mouvement et lui donner la légitimité historique. C'est grâce à leur ‘Dahir berbère’ qu'ils sont entrés dans l'histoire en chassant, bien sûr, les ayants droits. Le mouvement national, en créant le ‘Dahir berbère’, a ‘assassiné’ l'amazighité pour qu'il naisse, vive et domine, lui qui n'a jamais existé avant le ‘Dahir berbère’.

Les nationalistes l'ont ‘inventé’, donc, pour avoir un ennemi fictif à combattre, ce qui leur a permis de passer pour des héros, des braves des résistants et des martyres, eux qui n'ont jamais manié un fusil. Le ‘Dahir berbère’ comme on l'a vu, n'a jamais existé. C'est une fiction, un mythe. Et parce qu il est un mythe, sa présence et son effet sont plus réels, plus agissants et plus durables que ce qui existe réellement. En effet, tout mythe fonde des rites qui le consacrent, le reproduisent et l'éternisent. Le rite qu'a institué le mythe du ‘Dahir berbère’ est le ‘meurtre symbolique’ de Tamazight. Ce ‘meurtre symbolique’ continue d'être célébré et commis à travers toute attitude amazighophobe qui puise ses ‘arguments’ dans le mythe du "Dahir berbère’.

Si le Dahir colonialiste du 16/05/1930 a été abrogé après l'indépendance, le"Dahir berbère" nationaliste, lui, est toujours en vigueur. Il est comme tout mythe rebelle à toute destruction, parce que le mythe s'adresse, non à la conscience, mais à l'inconscient, non à la raison, mais à l'imaginaire. Alors, chaque fois que le rite du meurtre de l'amazighité s'accomplit à travers la marginalisation, le déni et le mépris de la langue et de la culture amazighes, le mythe fondateur de ce meurtre (le ‘Dahir berbère’) s'enracine davantage dans l'inconscient et l'imaginaire ; ce qui le rend plus actuel, plus présent et plus vivant encore.

Pour détruire un mythe, il faut le faire passer d'abord de sujet à un objet de "pensée". Or jusqu'à maintenant, on n’a pas encore ‘pensé’ le mouvement nationaliste et son mythe - le "Dahir berbère". On continue de penser par et à travers lui, à travers ses idées et ses "mythes". Par conséquent, on "pense" toujours encore l'amazighité d'après le mythe du "Dahir berbère" : les questions sont déjà posées et les réponses déjà connues et arrêtées. C'est la répétition inconsciente du meurtre de I'amazighité.

Pour que ce crime ne se répète pas, il faut opérer un renversement épistémologique c'est à dire ‘penser’ le ‘Dahir berbère’ à travers la question amazighe, où celle-ci prend le statut de sujet qui réfléchit sur le dit dahir et l'analyse comme objet. Alors celui qui se référera au ‘Dahir berbère’ pour faire chanter l’amazighité sera traité de menteur et d'affabulateur, puisque le ‘dahir berbère’ n'a jamais existé. Ce sera la fin du mythe, du mensonge et du chantage.
In Tifinagh 13, mars 1998
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