Portrait
MOHAMMED CHAFIK
Homme de lettres et libre penseur, Mohamed Chafik affiche une marocanité empreinte de diversité culturelle. Fervent défenseur de la berbérité, il refuse la mort de cette langue millénaire.
Un Marocain à la croisée des cultures
Académicien, ancien directeur du Collège Royal, fervent défenseur de la berbérité, membre fondateur de l’OMDH, inspecteur principal à la retraite, ancien instituteur... Mohammed Chafik collectionne les fonctions et affiche un pragmatisme à toute épreuve. Esprit libre et moderne à cheval entre le Protectorat français et une indépendance marocaine marquée par une nouvelle identité défaillante, il se souvient précisément de cette période agitée, de cette histoire souvent négligée par nos manuels scolaires. Avec un langage châtié et une logique implacable, l’homme de lettres et d’esprit nous transporte dans une époque où les Français occupaient le Royaume.
Académicien, ancien directeur du Collège Royal, fervent défenseur de la berbérité, membre fondateur de l’OMDH, inspecteur principal à la retraite, ancien instituteur... Mohammed Chafik collectionne les fonctions et affiche un pragmatisme à toute épreuve. Esprit libre et moderne à cheval entre le Protectorat français et une indépendance marocaine marquée par une nouvelle identité défaillante, il se souvient précisément de cette période agitée, de cette histoire souvent négligée par nos manuels scolaires. Avec un langage châtié et une logique implacable, l’homme de lettres et d’esprit nous transporte dans une époque où les Français occupaient le Royaume.
C’est dans cette période trouble de l’histoire qu’est né Moammed Chafik à Béni Ait Sadden, village perdu de l’Atlas. Issu d’une riche famille d’agriculteurs, il baigne très tôt dans une culture patriarcale et fortement dévote. Bercé par une tendre grand-mère mystique, l’enfant se sent très tôt profondément musulman. Une foi que ne renforceront pas ses deux années au Msid. L’homme ne cessera de condamner la pédagogie répressive de ce genre d’enseignement dogmatique. Il lui faudra attendre son arrivée à l’école franco-marocaine à l’âge de 8 ans pour entreprendre une vraie scolarité, encouragé par son oncle qui ne cessait de répéter : "Nous avons toujours été des hommes de baroud. Aujourd’hui le baroud c’est l’instruction ". Le petit Mohammed apprend alors le français et prend conscience de ce qu’il nomme: "La troisième de mes dimensions socio-culturelles : ma marocanité".
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Une marocanité qui ne cessera alors de l’animer, surtout après son passage au collège berbère d’Azrou. Là, il est fortement influencé par le patriote My Ahmed Zemmouri, l’un des signataires du Manifeste de l’Indépendance, à l’époque enseignant et maître d’internat. Ce dernier avait pour habitude de communiquer le soir aux collégiens un discours nationaliste qui insistait sur la nécessité de prendre d’abord les armes pour chasser le colonisateur. Dès lors, le jeune homme ne supporte plus les séquelles dues aux humiliations imposées par le Dahir Berbère. Un Dahir qui a fait de tous les Berbères des justiciables des tribunaux militaires français. Sans compter que toutes les régions berbérophones du pays étaient restées zones militaires durant le protectorat.
Pour avoir violé cette autorité, le jeune rebelle ne manque pas d’être emprisonné pendant 3 heures. Il avait refusé de saluer militairement un commandant français. Il refusait également de se laisser guider par les lois de l’administration coloniale. C’était l’époque où le Maréchal Lyautey voulait créer toute une hiérarchie sociale au Maroc en autorisant uniquement les enfants des familles de notables marocains issues des grandes villes à poursuivre des études. Une progéniture bourgeoise destinée à devenir des agents de l’autorité française.
Pour les élèves du Collège Berbère d’Azrou, on prévoyait des carrières militaires. Mais une fois son brevet décroché, son père s’oppose à son passage à l’école militaire. Pourtant, grâce aux interventions de M. Germain, surveillant général du collège, l’élève, encore trop jeune pour travailler, a la chance d’intégrer le lycée Moulay Youssef. Il ambitionnait des études de mathématiques. Mais un an avant son baccalauréat, éclatent les événements de janvier 1944 où des lycéens ont osé manifester. En brandissant le drapeau marocain pour la première fois, le jeune homme affiche clairement son nationalisme. Placé en garde à vue pendant une dizaine de jours, il est alors renvoyé de l’établissement avec interdiction de poursuivre ses études ou d’être engagé dans la fonction publique. Les noms des rebelles ont fait l’objet d’une liste distribuée à travers le pays. Certains de ses camarades moins chanceux ont également écopé d’un an de travaux forcés.
Le jeune Mohammed ne se laisse pas pour autant décourager. De retour au bercail, il entame des études par correspondance avec l’école nord-africaine d’Alger. Il sollicite également les services de Bisson, ancien directeur du collège d’Azrou, devenu inspecteur de l’enseignement primaire. Ce franc-maçon doté d’une grande humanité et d’une pédagogie exceptionnelle ne résiste pas à la volonté du jeune homme. Faisant fi de la liste, il le recrute en tant qu’instituteur suppléant et ne le déclare que quelques mois plus tard, après lui avoir permis de faire ses preuves. L’administration française est alors obligée de suspendre son ancien verdict. Cela n’empêche pas Bisson de sermonner, peu de temps après, le jeune "Watani", comme il aimait le nommer. Les propos de ce visionnaire sont encore inscrits dans la mémoire de Mohammed Chafik. Avec un ton théâtral, il nous les rapporte : " Écoutez mon enfant, vous voulez votre indépendance ? Et bien vous l’aurez. Peut-être dans 5, 6 ans, ou même dix ans. Pourquoi ? Car ça va dans le sens de l’histoire. Mais attention, les bourgeois vous feront tirer les marrons du feu. Ce que vous avez de mieux à faire, c’est d’instruire ces petits morveux que vous avez face à vous ".
Pour avoir violé cette autorité, le jeune rebelle ne manque pas d’être emprisonné pendant 3 heures. Il avait refusé de saluer militairement un commandant français. Il refusait également de se laisser guider par les lois de l’administration coloniale. C’était l’époque où le Maréchal Lyautey voulait créer toute une hiérarchie sociale au Maroc en autorisant uniquement les enfants des familles de notables marocains issues des grandes villes à poursuivre des études. Une progéniture bourgeoise destinée à devenir des agents de l’autorité française.
Pour les élèves du Collège Berbère d’Azrou, on prévoyait des carrières militaires. Mais une fois son brevet décroché, son père s’oppose à son passage à l’école militaire. Pourtant, grâce aux interventions de M. Germain, surveillant général du collège, l’élève, encore trop jeune pour travailler, a la chance d’intégrer le lycée Moulay Youssef. Il ambitionnait des études de mathématiques. Mais un an avant son baccalauréat, éclatent les événements de janvier 1944 où des lycéens ont osé manifester. En brandissant le drapeau marocain pour la première fois, le jeune homme affiche clairement son nationalisme. Placé en garde à vue pendant une dizaine de jours, il est alors renvoyé de l’établissement avec interdiction de poursuivre ses études ou d’être engagé dans la fonction publique. Les noms des rebelles ont fait l’objet d’une liste distribuée à travers le pays. Certains de ses camarades moins chanceux ont également écopé d’un an de travaux forcés.
Le jeune Mohammed ne se laisse pas pour autant décourager. De retour au bercail, il entame des études par correspondance avec l’école nord-africaine d’Alger. Il sollicite également les services de Bisson, ancien directeur du collège d’Azrou, devenu inspecteur de l’enseignement primaire. Ce franc-maçon doté d’une grande humanité et d’une pédagogie exceptionnelle ne résiste pas à la volonté du jeune homme. Faisant fi de la liste, il le recrute en tant qu’instituteur suppléant et ne le déclare que quelques mois plus tard, après lui avoir permis de faire ses preuves. L’administration française est alors obligée de suspendre son ancien verdict. Cela n’empêche pas Bisson de sermonner, peu de temps après, le jeune "Watani", comme il aimait le nommer. Les propos de ce visionnaire sont encore inscrits dans la mémoire de Mohammed Chafik. Avec un ton théâtral, il nous les rapporte : " Écoutez mon enfant, vous voulez votre indépendance ? Et bien vous l’aurez. Peut-être dans 5, 6 ans, ou même dix ans. Pourquoi ? Car ça va dans le sens de l’histoire. Mais attention, les bourgeois vous feront tirer les marrons du feu. Ce que vous avez de mieux à faire, c’est d’instruire ces petits morveux que vous avez face à vous ".
"Vous voulez votre indépendance ? Et bien vous l'aurez. Mais attention, les bourgeois vous feront tirer les marrons du feu. Ce que vous avez de mieux à faire, c'est d'instruire ces petits morveux que vous avez face à vous".
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Des paroles bien loin de tomber dans les oreilles d’un sourd. Muté dans divers patelins, notre homme n’a alors de cesse de communiquer à ses élèves le sens de la rigueur et de la discipline, sans pour autant sombrer dans une pédagogie castratrice. En 1951 il crée dans une petite école de Tissa deux classes supplémentaires, dont la première pour fillettes marocaines. Un exploit qui l’obligea souvent à forcer la main aux familles de paysans. En même temps, il se lance en autodidacte dans l’apprentissage de l’arabe littéraire et devient, après l’obtention de son diplôme, professeur d’arabe et de traduction.
C’est au collège des jeunes filles musulmanes à Fès qu’il enseigne pour la première fois en tant que professeur avant de réussir son concours d’inspecteur. Il entame alors une nouvelle carrière en tant qu’inspecteur de l’enseignement primaire et secondaire avant d’être nommé inspecteur principal au ministère. Il participe alors activement, en 1965, au rapport de réformes du ministre de l’Éducation nationale. Un retour au bilinguisme a fortement été suggéré, mais ce fut, sans compter avec les réticences des membres de l’Istiqlal, fortement opposés à la francophonie.
Suite aux évènements français de mai 68 qui avaient perturbé le paysage éducatif marocain, notre homme fut appelé par feu Hassan II au cabinet Royal. Il y rédige un premier rapport sur l’état des lieux de l’enseignement et par la suite entreprend une nouvelle recherche sur la valeur pédagogique de l’enseignement de l’école coranique. En dépit d’une conclusion dénonçant le bien-fondé d’une telle pédagogie, le Souverain décide de généraliser cet enseignement afin de lutter contre un communisme croissant. Cela ne l’empêchera pas de nommer plus tard notre homme à la direction du Collège royal et de soutenir, en 1980, son entrée à l’Académie du Royaume du Maroc, où il perturbe les esprits en faisant un premier discours sur la berbérité. Depuis, il n’aura de cesse de défendre cette culture inhérente à l’histoire du pays et pourtant lourdement négligée pour ne pas dire insultée après l’indépendance du pays.
Abla Ababou
Le Journal Hebdomadaire (Maroc)
N° 25 [vol. 2] Semaine du 07 au 13 juillet 2001
C’est au collège des jeunes filles musulmanes à Fès qu’il enseigne pour la première fois en tant que professeur avant de réussir son concours d’inspecteur. Il entame alors une nouvelle carrière en tant qu’inspecteur de l’enseignement primaire et secondaire avant d’être nommé inspecteur principal au ministère. Il participe alors activement, en 1965, au rapport de réformes du ministre de l’Éducation nationale. Un retour au bilinguisme a fortement été suggéré, mais ce fut, sans compter avec les réticences des membres de l’Istiqlal, fortement opposés à la francophonie.
Suite aux évènements français de mai 68 qui avaient perturbé le paysage éducatif marocain, notre homme fut appelé par feu Hassan II au cabinet Royal. Il y rédige un premier rapport sur l’état des lieux de l’enseignement et par la suite entreprend une nouvelle recherche sur la valeur pédagogique de l’enseignement de l’école coranique. En dépit d’une conclusion dénonçant le bien-fondé d’une telle pédagogie, le Souverain décide de généraliser cet enseignement afin de lutter contre un communisme croissant. Cela ne l’empêchera pas de nommer plus tard notre homme à la direction du Collège royal et de soutenir, en 1980, son entrée à l’Académie du Royaume du Maroc, où il perturbe les esprits en faisant un premier discours sur la berbérité. Depuis, il n’aura de cesse de défendre cette culture inhérente à l’histoire du pays et pourtant lourdement négligée pour ne pas dire insultée après l’indépendance du pays.
Abla Ababou
Le Journal Hebdomadaire (Maroc)
N° 25 [vol. 2] Semaine du 07 au 13 juillet 2001