Agadir
A. Adam, « Agadir », in Encyclopédie berbère, 2 | Ad – Ağuh-n-Tahlé [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 17 juillet 2018. URL : http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/901
Le mot, qui évoque un « mur », un « rempart », et qui se retrouve dans des dialectes berbères très différents les uns des autres, pourrait avoir, selon une hypothèse de D. Cohen, une double étymologie, le phénicien (ou le punique) étant venu se superposer au terme berbère (L. Galand). En chleuh, le terme agadir, plur. igudar, désigne un « grenier collectif fortifié », institution que l’on retrouve ailleurs au Maghreb, mais sous d’autres vocables.
Les bâtiments portant ce nom sont nombreux dans « le Sous » ou ce que les Marocains appellent ainsi, c’est-à-dire le Sud-Ouest du Maroc, entre la partie occidentale du Haut-Atlas et les abords du Sahara. Certains sont en ruines, mais quelques uns sont très bien conservés, car ils ont été en service jusqu’à une époque récente ; certains avaient même retrouvé une nouvelle vitalité pendant la Seconde Guerre mondiale, en raison des restrictions et de la réglementation qu’elle avait entraînée ; quelques-uns sont restés en usage bien des années après, par la force de l’habitude, les parties abandonnées n’étant plus entretenues et tombant en ruine.
Les bâtiments portant ce nom sont nombreux dans « le Sous » ou ce que les Marocains appellent ainsi, c’est-à-dire le Sud-Ouest du Maroc, entre la partie occidentale du Haut-Atlas et les abords du Sahara. Certains sont en ruines, mais quelques uns sont très bien conservés, car ils ont été en service jusqu’à une époque récente ; certains avaient même retrouvé une nouvelle vitalité pendant la Seconde Guerre mondiale, en raison des restrictions et de la réglementation qu’elle avait entraînée ; quelques-uns sont restés en usage bien des années après, par la force de l’habitude, les parties abandonnées n’étant plus entretenues et tombant en ruine.
Ce sont des greniers collectifs, où tout un groupement, tribu, fraction, village ou même clan, abrite le produit de ses récoltes. Mais cela ne veut pas dire que la propriété individuelle y soit abolie : chaque famille a, dans l’agadir, son grenier personnel, où elle dépose le grain de sa propre moisson et dispose seule de la clef de cette cellule. Ces greniers collectifs sont en réalité de petits greniers individuels juxtaposés, mais réunis dans et protégés par une seule fortification. Certains ont pour base une grotte d’accès difficile et il est possible que ce soit là l’origine première de l’institution. La forteresse comme les greniers de l’intérieur sont en pierre ou en pisé, ce dernier mode de construction étant surtout celui des abords sahariens et la pierre celui de la montagne.
Pourquoi ces greniers sont-ils fortifiés ? Selon l’hypothèse de Robert Montagne, l’institution serait née chez des transhumants ou semi-nomades, qui, restant éloignés longtemps de leurs réserves de grains, devaient les rendre défendables par une très petite garnison. Effectivement, les agadirs se rencontrent, sous d’autres noms (iγerm, etc.), dans des régions, l’Aurès par exemple, qui ont été jusqu’à une date récente des pays de pasteurs transhumants. Dans le Sud-Ouest marocain, l’institution aurait survécu à la sédentarisation, fort ancienne, comme on le sait. La force de l’habitude ne suffit pas à expliquer cette survivance. Deux facteurs ont joué, l’un économique, l’autre politique. Le premier, c’est la sécheresse du climat, qui amène des séries de récoltes presque nulles et oblige les humains à conserver pour survivre les restes des bonnes années et ce qu’ils ont pu acquérir par échanges chez des voisins plus favorisés. Le second, c’est la tendance bien connue des Berbères sédentaires à se fractionner en unités parfois très petites, non seulement indépendantes les unes des autres, mais facilement adverses et même traditionnellement ennemies (voir le système des leff-s). Il fallait donc protéger aussi efficacement que possible des ressources vitales contre le voisin-ennemi. Il y avait enfin deux autres dangers contre lesquels il fallait se prémunir : les vagues de nomades qui remontaient du désert (comme au xie siècle, les Sanhaja, qui devaient fonder la dynastie des Almoravides) et, venant du nord cette fois, les tentatives du Makhzen pour réduire par la force les tribus demeurées en siba. Dans ces périls extrêmes, la collectivité toute entière, femmes et enfants d’abord, guerriers ensuite si c’était nécessaire, se réfugiait dans l’agadir, où elle pouvait soutenir un long siège. Au début du siècle, le Glaoui ne put venir à bout de l’agadir des Ait Ouaouzguite, dans le Siroua, que grâce à un canon offert au Sultan par une ambassade allemande.
La protection du Ciel n’est pas moins indispensable. L’agadir contenait d’ordinaire une mosquée, ou du moins une petite salle de prière, flanquée d’une autre pour les ablutions rituelles. Il était souvent aussi sous la protection d’un marabout et il y avait alors, à l’intérieur, près de l’entrée, un magasin muni d’une bouche par laquelle les membres de la tribu, quand ils rentraient leur récolte, versaient la part prévue par la coutume. Un autre magasin, situé près de l’entrée, contenait les versements dus par les usagers pour l’entretien et la garde de l’agadir, ou « l’impôt » en nature destiné à nourrir les hôtes de la tribu.
Contenant les ressources vitales du groupe, l’agadir était l’objet d’une réglementation précise et impérative. Celle-ci, qui relevait du droit coutumier, a été souvent mise par écrit et quelques exemplaires en ont été retrouvés, publiés et étudiés. Le plus ancien est la « Charte d’Ajarif », agadir des Idouska Oufella, sur le versant nord de l’Anti-Atlas occidental, détruit au début du xixe siècle. Elle est écrite en langue et caractères arabes, mais contient de nombreux termes berbères. Elle date probablement de la fin du xvie siècle, et semble avoir servi de modèle à de nombreux autres règlements de greniers collectifs, en particulier à celui des Ikounka, publié et étudié par Robert Montagne en 1929.
La gestion de l’agadir est confiée à un Conseil de six à huit membres (anflus, pl. inflas, ou lamîn, pl. lumna), représentant chacun une « gens » ou un hameau, et choisis en fonction de leur intelligence et de leur expérience, mais aussi de leur richesse. Chacun assume à tour de rôle, pendant un an, la charge de chef du Conseil. Le portier est choisi par le Conseil et fait partie de droit de celui-ci. Il tient l’agadir ouvert de la prière de l’aube à celle du couchant, surveille les allées et venues et refuse l’entrée aux étrangers, dont on se méfie toujours. Nul, s’il n’appartient au clan, ne peut pénétrer en armes : il doit les déposer à l’entrée. L’entrée est aussi interdite aux Juifs et, dans certaines tribus, aux femmes. On ne peut rien retirer du grenier sans vérification du gardien. Celui-ci est payé en nature (7 à 15 litres de grain par case), il reçoit aussi de menus cadeaux et peut exercer un artisanat, souvent celui de savetier ou de tailleur.
Sa surveillance est renforcée souvent par des hommes en armes, de deux à quatre, pendant la nuit et parfois aussi le jour si l’agadir est loin des villages. Les femmes propriétaires de cases se font remplacer pour la garde soit par un de leurs parents, soit par le portier, qu’elles indemnisent.
Les crimes et délits commis dans l’enceinte de l’agadir sont punis beaucoup plus sévèrement que s’ils avaient été commis ailleurs : dans certaines tribus, on pendait même le voleur en haut de la muraille ou on lui coupait un bras ou un pied. Au fond, l’agadir avait tous les caractères d’un lieu saint, l’interdit qui le caractérisait le rendait inviolable et en faisait un lieu d’asile : le meurtrier qui s’y réfugiait échappait à la vengeance. Pour tout délit commis à l’intérieur de l’enceinte, la responsabilité était collective : elle touchait non seulement la famille proche, mais la « gens » tout entière.
Il arrivait enfin que l’agadir fût au centre de la vie économique du groupe, et qu’un marché hebdomadaire se tînt non loin de là.
Pourquoi ces greniers sont-ils fortifiés ? Selon l’hypothèse de Robert Montagne, l’institution serait née chez des transhumants ou semi-nomades, qui, restant éloignés longtemps de leurs réserves de grains, devaient les rendre défendables par une très petite garnison. Effectivement, les agadirs se rencontrent, sous d’autres noms (iγerm, etc.), dans des régions, l’Aurès par exemple, qui ont été jusqu’à une date récente des pays de pasteurs transhumants. Dans le Sud-Ouest marocain, l’institution aurait survécu à la sédentarisation, fort ancienne, comme on le sait. La force de l’habitude ne suffit pas à expliquer cette survivance. Deux facteurs ont joué, l’un économique, l’autre politique. Le premier, c’est la sécheresse du climat, qui amène des séries de récoltes presque nulles et oblige les humains à conserver pour survivre les restes des bonnes années et ce qu’ils ont pu acquérir par échanges chez des voisins plus favorisés. Le second, c’est la tendance bien connue des Berbères sédentaires à se fractionner en unités parfois très petites, non seulement indépendantes les unes des autres, mais facilement adverses et même traditionnellement ennemies (voir le système des leff-s). Il fallait donc protéger aussi efficacement que possible des ressources vitales contre le voisin-ennemi. Il y avait enfin deux autres dangers contre lesquels il fallait se prémunir : les vagues de nomades qui remontaient du désert (comme au xie siècle, les Sanhaja, qui devaient fonder la dynastie des Almoravides) et, venant du nord cette fois, les tentatives du Makhzen pour réduire par la force les tribus demeurées en siba. Dans ces périls extrêmes, la collectivité toute entière, femmes et enfants d’abord, guerriers ensuite si c’était nécessaire, se réfugiait dans l’agadir, où elle pouvait soutenir un long siège. Au début du siècle, le Glaoui ne put venir à bout de l’agadir des Ait Ouaouzguite, dans le Siroua, que grâce à un canon offert au Sultan par une ambassade allemande.
La protection du Ciel n’est pas moins indispensable. L’agadir contenait d’ordinaire une mosquée, ou du moins une petite salle de prière, flanquée d’une autre pour les ablutions rituelles. Il était souvent aussi sous la protection d’un marabout et il y avait alors, à l’intérieur, près de l’entrée, un magasin muni d’une bouche par laquelle les membres de la tribu, quand ils rentraient leur récolte, versaient la part prévue par la coutume. Un autre magasin, situé près de l’entrée, contenait les versements dus par les usagers pour l’entretien et la garde de l’agadir, ou « l’impôt » en nature destiné à nourrir les hôtes de la tribu.
Contenant les ressources vitales du groupe, l’agadir était l’objet d’une réglementation précise et impérative. Celle-ci, qui relevait du droit coutumier, a été souvent mise par écrit et quelques exemplaires en ont été retrouvés, publiés et étudiés. Le plus ancien est la « Charte d’Ajarif », agadir des Idouska Oufella, sur le versant nord de l’Anti-Atlas occidental, détruit au début du xixe siècle. Elle est écrite en langue et caractères arabes, mais contient de nombreux termes berbères. Elle date probablement de la fin du xvie siècle, et semble avoir servi de modèle à de nombreux autres règlements de greniers collectifs, en particulier à celui des Ikounka, publié et étudié par Robert Montagne en 1929.
La gestion de l’agadir est confiée à un Conseil de six à huit membres (anflus, pl. inflas, ou lamîn, pl. lumna), représentant chacun une « gens » ou un hameau, et choisis en fonction de leur intelligence et de leur expérience, mais aussi de leur richesse. Chacun assume à tour de rôle, pendant un an, la charge de chef du Conseil. Le portier est choisi par le Conseil et fait partie de droit de celui-ci. Il tient l’agadir ouvert de la prière de l’aube à celle du couchant, surveille les allées et venues et refuse l’entrée aux étrangers, dont on se méfie toujours. Nul, s’il n’appartient au clan, ne peut pénétrer en armes : il doit les déposer à l’entrée. L’entrée est aussi interdite aux Juifs et, dans certaines tribus, aux femmes. On ne peut rien retirer du grenier sans vérification du gardien. Celui-ci est payé en nature (7 à 15 litres de grain par case), il reçoit aussi de menus cadeaux et peut exercer un artisanat, souvent celui de savetier ou de tailleur.
Sa surveillance est renforcée souvent par des hommes en armes, de deux à quatre, pendant la nuit et parfois aussi le jour si l’agadir est loin des villages. Les femmes propriétaires de cases se font remplacer pour la garde soit par un de leurs parents, soit par le portier, qu’elles indemnisent.
Les crimes et délits commis dans l’enceinte de l’agadir sont punis beaucoup plus sévèrement que s’ils avaient été commis ailleurs : dans certaines tribus, on pendait même le voleur en haut de la muraille ou on lui coupait un bras ou un pied. Au fond, l’agadir avait tous les caractères d’un lieu saint, l’interdit qui le caractérisait le rendait inviolable et en faisait un lieu d’asile : le meurtrier qui s’y réfugiait échappait à la vengeance. Pour tout délit commis à l’intérieur de l’enceinte, la responsabilité était collective : elle touchait non seulement la famille proche, mais la « gens » tout entière.
Il arrivait enfin que l’agadir fût au centre de la vie économique du groupe, et qu’un marché hebdomadaire se tînt non loin de là.
Bibliographie
- Montagne R. Un magasin collectif de l’Anti-Atlas, l’Agadir des Ikounka. Hespèris, t. IX, 1929, p. 145-267.
- Montagne R. Les Berbères et le Makhzen dans le Sud du Maroc. Paris, Travaux de l’année sociologique, 1930, p. 253 et sq.
- Jacques-Meunie Dj. Les greniers collectifs au Maroc. Journ. de la Soc. des Afric, t. XIV, 1944, p. 1-16.
- Jacques-Meunie Dj. Greniers collectifs. Hespéris, t. XXXVI, 1949, p. 97-133.
- Jacques-Meunie Dj. Greniers-citadelles au Maroc. Publ. de l’Institut des Hautes Étud. du Maroc, Paris, 1951, 2 vol.